Rien de plus réjouissant a priori que l’annonce d’un film de genre marocain. Le peu d’œuvres qui arrivent du Maghreb – indépendamment de leur qualité – portent généralement la marque d’une orientation sociale ou historique susceptible de trouver un écho en France. Logique, mais qui rend curieux d’autres cinémas, peut-être moins directement rattachables à l’hexagone. Le polar Casanegra joue pleinement cette carte. Mais en appliquant sans aucun recul ni finesse les codes du genre à quelques personnages caricaturaux, le second long-métrage de Nour-Eddine Lakhmari s’avère malheureusement absolument indigeste.
C’était une bonne idée de partir d’un constat – la sclérose de jeunes Marocains à Casablanca, l’envie de partir, le rêve de la grande vie – et de ne pas suivre le chemin du drame social, patiné à force d’être emprunté. Casanegra, dès le générique où les longues façades qui surplombent la nuit calme sont enveloppées d’une trompette burmanienne, s’affiche comme un polar très noir. De fait littéralement (il y fait presque toujours sombre et étouffant), et heureusement, car seule la nuit échappe parfois au ridicule qui imprègne chaque parcelle du film.
Découpé en trois jours de la vie d’une petite faune borderline, Casanegra pourrait se doubler d’une chronique sociale par petites touches, à chaque personnage, au-delà des ambiances. Mais en quelques plans il est déjà évident que chaque code cinématographique ou socioculturel, chaque geste, est reproduit maladroitement sans autre particularité qu’une amplification caricatural et démesurée.
Tout commence avec les personnages. Adil et Karim ont chacun le même rêve de prospérité facile, le premier en Suède, scrutant frénétiquement une carte postale de Malmö, l’autre à Casablanca, ou plutôt « Casanegra » comme aiment à l’appeler ces jeunes, car tout est noir, on l’a déjà dit. Autour des deux personnages centraux, qui tiennent plutôt la route en jeunes malfrats un peu tièdes, les hommes et les femmes ne paraissent rien représenter à force d’être tellement clairement définis. La mère d’Adil, femme battue par le beau-père alcoolique, violent et bête, le jeune malade mental qui zone dans leur immeuble, simple faire-valoir tantôt maltraité tantôt protégé, histoire de montrer qui est bon et qui ne l’est pas, le riche dépravé qui se travestit, la bourgeoise française qui tient un magasin d’antiquités et dont Karim rêve, et Zrirek, le méchant ridicule qui menace les mauvais payeurs à coup de perceuse…
Karim ne prospère pas vraiment des petits vendeurs de cigarettes dont il s’occupe, Adil doit trouver 6000 dirhams pour s’acheter un visa. Entre peur et attrait pour le « caïd » Zrirek, ils acceptent de travailler pour lui. En trois jours leurs aventures dans les rues de la ville s’enchaînent, loin du Casablanca touristique qu’ils aimeraient pourtant bien atteindre. Les occasions ne manquaient pas de créer des errances capables d’imprimer sur les spectateurs les murs et les vies secrètes qui y circulent. Mais à force de reproduire des contre-plongées mille fois vues, de noyer chaque image, déjà sursignifiante, sous une musique étouffante, Casanegra immunise en seulement quelques séquences, lorsqu’il ne fait pas tout simplement fuir. Que le film manque de moyens financiers n’est pas capital, et c’est à l’honneur de Nour-Eddine Lakhmari d’être allé fermement au bout de sa fiction. Les spectateurs se sont peu à peu habitués aux films documentaires à budget réduit, la fiction souffre encore de la comparaison avec la perfection technique d’usage. Mais au-delà, le jeu, la mise en scène et le scénario rendent le film insupportable. Inutile et gratuit de faire la liste des séquences improbables, parfois surnaturelles (la scène de danse dans la discothèque), le tout finit par faire hésiter sur l’intention du réalisateur. Serait-ce une parodie ? On pense souvent aux fictions amateurs de Moncef Kahloucha (VHS Kahloucha) mais il manque la passion qui parcourait ses films, une autodérision et une inventivité rebondissant sur le système D. Si la détresse, l’étouffement des habitants et les mirages de l’occident sont palpables, l’absence de finesse éloigne rapidement l’espoir de la parodie. Dès lors Casanegra ne devient plus qu’une longue liste de clichés que traversent trop lentement les deux héros, jusqu’à revenir à la scène d’ouverture. Que souhaiter à Lakhmari, sinon des collaborateurs capables d’épurer ses prochains films pour garder l’essence des influences cinématographiques et non pas les seuls tics ?