Auréolé d’un considérable succès public et critique de l’autre côté des Pyrénées, Cellule 211 a récolté huit Goyas – l’équivalent de nos César –, dont ceux du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur acteur. Le troisième film de Daniel Monzón (les deux premiers sont inédits en France) sera ainsi inévitablement présenté comme l’équivalent espagnol d’Un prophète. Une comparaison aussi flatteuse qu’inexacte : tandis que l’œuvre de Jacques Audiard ne sacrifiait pas l’ambition du film d’auteur à l’énergie du film de genre, Cellule 211 s’apparente pour sa part à une série B aussi modeste qu’efficace.
Dans l’espoir de se faire bien voir de ses futurs collègues et employeurs, Juan, jeune gardien de prison, se rend sur son lieu de travail la veille de sa prise de fonctions. Lorsqu’une émeute éclate et que les détenus, menés par le charismatique Malamadre, prennent le contrôle de l’établissement, Juan choisit de se faire passer pour un prisonnier nouvellement incarcéré. D’otage potentiel, il se transforme en protagoniste actif des événements, et louvoie pour sauver sa peau et prendre le contrôle de la situation – au risque de se voir démasquer à chaque instant.
Signe des temps ? Après avoir longtemps singé (avec un succès très relatif) le modèle hollywoodien, le cinéma grand public européen s’essaie désormais à appliquer les recettes des séries américaines. On pense ainsi énormément à Oz à la vision de cette Cellule 211, qui en reprend de nombreux principes : univers très ritualisé, tensions communautaires, personnages complexes dont le passé est révélé par bribes et dont les loyautés évoluent au fil d’incessants rebondissements.
Il y a bien quelques scories dans ce récit très resserré, comme ces flash-backs présentant la relation (un rien trop idyllique) entre Juan et sa compagne ; s’ils permettent d’expliquer l’évolution psychologique du jeune maton, ils alourdissent surtout considérablement le film en diluant la tension du huis clos. Mais force est de constater que la machine narrative est bien huilée et sans temps morts. À partir d’une situation de départ un peu tirée par les cheveux, le scénario explore toutes les pistes, s’amuse à inverser constamment les rapports de force pour relancer l’intrigue et maintenir le spectateur en haleine.
Si son absence de prétentions rend le film assez sympathique, et sa vision très plaisante, cette modestie se paie : trop respectueux des codes, Cellule 211 ne s’aventure guère hors des sentiers battus et ne prophétise en rien un renouveau du genre carcéral ; il semble plutôt aspirer à ressembler à son propre remake hollywoodien ! De même, il ne témoigne pas d’une vision du monde très élaborée : s’il ne cache rien de la dureté des conditions de vie en prison, il ne constitue pas pour autant un plaidoyer pour leur amélioration, et s’il évoque le statut particulier des prisonniers « politiques » basques, c’est moins par souci polémique que pour les seuls besoins du récit.
Formellement, le film peine à se hausser au même niveau d’efficacité que son script. S’il tire correctement parti de son cadre – un authentique établissement pénitentiaire désaffecté – ses idées de mise en scène se comptent sur les doigts d’une seule main, sacrifiées à une volonté de lisibilité qui l’apparente à un pur objet télévisuel. Il est cependant sauvé par la qualité de l’interprétation : gueule d’ange naufragée dans un océan de mines patibulaires, Alberto Ammann – sorte de sosie ibère de Frédéric Diefenthal – est beaucoup plus convaincant que ses airs de jeune premier ne pouvaient le laisser supposer. Mais c’est Luis Tosar – pour le coup très justement récompensé par un Goya – qui emporte le morceau : avec sa voix rauque et son regard intense, il parvient à rendre le personnage de Malamadre aussi touchant qu’effrayant, et à justifier à lui seul qu’on aille explorer cette Cellule 211.