Franchise, remake
Teddy est un jeune parisien, chef de projet multimédias qui quitte famille, travail, pays pour vivre une grande aventure existentielle : son mal d’aventures est surtout une recherche de paix et une quête de lui-même. C’est ainsi qu’il part faire une expédition sur le lac Baïkal, la « perle de Sibérie », dont la beauté égale la monstruosité : s’étalant sur plus de 600 km, le lac est la plus grande réserve d’eau douce liquide à la surface de la terre.
Nous suivons son périple express jusqu’à ce qu’il atteigne une cabane achetée à un couple âgé, très heureux de s’en débarrasser, pour y séjourner le temps qu’il faudra – au moins jusqu’au dégel du lac, soit tout un hiver.
Le nouveau film de Saby Nebbou après Comme un homme (2012) est librement adapté du best-seller de Sylvain Tesson Dans les forêts de Sibérie, prix Médicis en 2011, qui narrait son expérience solitaire sibérienne. Or, celle-ci en plus du livre a fait l’objet d’un documentaire réalisé avec Florence Tran, Six mois de cabane au Baïkal, filmant au cours de l’hiver 2010 son quotidien, ses occupations, son ennui, sa déprime parfois, ses impressions, ses marches dans la nature environnante. Le film de Saby Nebbou en est le remake fictionnel, tout en ayant conservé une part documentaire avec le filmage de personnes réelles, pour certaines témoins de la première expédition de Sylvain Tesson. On est donc en plein cœur d’une « franchise ».
Survival mélo
Raphaël Personnaz interprète la figure de Sylvain Tesson émoustillé par l’aventure, sorte de grand enfant en mode aventurier, baragouinant quelques mots de russe : le trip sibérien se mue en robinsonnade (installer sa cabane, couper du bois, pêcher en fendant et creusant la glace, faire un bania – sauna russe – puis courir nu dans la neige, …) et en survival face à la nature (la rencontre avec un ours par exemple), mais aussi face à un potentiel rôdeur dans les alentours de la cabane. Teddy apprend en effet par des personnes qu’il visite autour du lac qu’un Russe en cavale vit caché dans la forêt depuis plusieurs années, tentant ainsi d’échapper à la justice. Or, après une grosse tempête de neige qui aurait pu lui être fatale, Teddy est secouru par cet homme nommé Aleksei (Evgueni Sidikhine), et peu à peu une amitié va naître entre les deux hommes qui s’apprivoisent, confirmée par des scènes de tir, de chasse et de pêche…
Sorte de Eastern survival plein de bons sentiments qui peut faire penser au film récent de Viktor Dement Criminel, Dans les forêts de Sibérie vire au mélo sentimental autour de la relation entre les deux hommes quand l’invincible Aleksei qui a survécu de nombreuses années dans la taïga tombe malade, et quand il amorce un chemin de repentir face au crime commis.
« Sibériade » de carte postale
Cette fiction ajoutée par Saby Nebbou au récit initial de Sylvain Tesson n’échappe à aucuns lieux communs. Elle ne fait même qu’alourdir un remake déjà empesé par le jeu surexpressif des personnages, caricaturés en un naïf Robinson et en un rustre et sauvage homme russe, comme par une voix off symptomatique d’un storytelling, ici écologico-existentialiste. Ce sont aussi des considérations comme des oppositions caricaturales que le film met en œuvre entre la nature idyllique quoique dangereuse et menaçante, et la ville suractive et gangrenée (il faut, bien sûr, en passer par une scène de soudoiement).
Si force est de constater la majesté et la beauté des grands espaces de la taïga sibérienne et du lac Baïkal gelé, l’image tire à la carte postale National Geographic, au grand panoramique et à la vue sensationnelle par le filmage apical avec des drones, quand elle n’est pas happée par une poésie facile.
Reste la musique composée par Ibrahim Maalouf, cherchant à exprimer le mystère et l’immensité de ces paysages, qu’il n’était pas nécessaire de figurer en faisant jouer de la trompette à vide à Teddy. Ces éléments font malheureusement écran à l’image et au son du lac Baïkal, image balafrée, striée par les craquelures créées par le passage des hommes et le dégel, et son sidérant de la glace qui gronde, inquiète, créant des zones flottantes, sismiques. Cette « Sibériade » égotiste manque d’ampleur.