Sur le motif des Mille et Une Nuits, le réalisateur belge Patrick Ridremont brosse le portrait d’un homme condamné à mort qui grappille chaque soir à coup d’anecdotes personnelles un sursis éphémère. Loin du film auquel le titre fait allusion, Dead Man Talking s’émancipe du pathos lié à cette thématique et respire cette belgitude tant appréciée dans nos contrées, entre humour noir, satire et sens du grotesque. Écartant d’emblée toute critique de la peine de mort, le film se focalise sur la mise en spectacle de cette exécution et sa récupération politique, traitement aussi bancal qu’amusant.
La peine de mort, dans ce pays indéterminé, répond à des règles strictes : installation très christique sur une croix pour le condamné, présence d’un aumônier pour recueillir les dernières paroles et timing serré (les exécutions ne peuvent avoir lieu qu’entre vingt heures et minuit). Quand William, le prisonnier meurtrier en attente de sentence, pris dans le récit d’un souvenir personnel, dépasse l’heure fatidique, le bourreau n’a d’autre choix qu’ajourner la mise à mort au lendemain. Utilisant ce vice de forme, William retarde quotidiennement son exécution, attirant l’attention du public et d’un élu en campagne. Commence alors une instrumentalisation vicieuse à coups de déclarations politiques opportunistes et de médiatisation galopante.
Première surprise et non des moindres, évacuer fissa les enjeux politiques liés à la peine de mort. Quant à l’exécution de William, le report perpétuel dont elle fait l’objet ne remet jamais en question sa légitimité au sein de cette étrange société. Cette volonté de ne pas traiter le sujet étonne et détonne dans la filmographie abondante prenant lieu et place dans les couloirs de la mort. Mais l’indétermination du cadre spatio-temporel et le dispositif inédit de l’exécution (injection létale du prisonnier, ficelé sur la fameuse croix) posent d’emblée la différenciation narrative recherchée par le réalisateur. Car ce qui intéresse Patrick Ridremont (scénariste, metteur en scène et premier rôle) est en premier lieu le récit dans le récit, les souvenirs de William comme combustibles de sa perte. L’enfance et les premières années de jeune adulte du personnage mettent à jour une violence omniprésente mais traitée sur le mode de la farce burlesque (l’accident du frère, l’incident du souffleur), elle ne justifie en rien ses passages à l’acte. Au contraire, ces flash-backs éclairent, avec un humour noir assumé, la folie d’un homme et ses réactions disproportionnées. Il ne faut pas chercher pas Dead Man Talking une morale ou une explication à la situation du condamné, le film ne propose rien de plus qu’un enchainement de saynètes absurdes, drôles et décalées.
Comme le traitement de la peine de mort, qui ne répond pas aux attentes d’une diffusion Dossiers de l’écran, se contentant du seul biais comique, la dimension critique de la manipulation politique s’avère elle aussi à peine esquissée. La garde rapprochée d’un élu local (Virginie Efira en direction de communication) flaire le potentiel gênant de cette exécution en suspens et décide d’en tirer profit. Faire durer le feuilleton de William jusqu’au jour des élections, pour délivrer sa dose quotidienne d’opium au peuple, tel est leur projet. Aidés en cela par un producteur de télé-réalité, ils passent un accord avec William pour qu’il continue à endormir par sa parole les électeurs/spectateurs. Malgré des personnages archétypaux caricaturaux à souhait (la dircom cynique, le politique abruti, le producteur abject), la sauce peine à prendre. Trop éclaté scénaristiquement (les jonctions entre la prison et l’extérieur ne forment pas un récit cohérent et fluide), Dead Man Talking perd en unité dramatique ce qu’il gagne grâce à son ton décalé et absurde. Match nul donc pour cette revisitation du mythe de Shéhérazade, trop sage pour aspirer au statut culte d’autres auteurs belges et trop décousu pour être un grand film.