On connaît surtout Robin Campillo comme compagnon de route — monteur et coscénariste — de Laurent Cantet. Il n’a réalisé qu’un seul film avant Eastern Boys, le long métrage fantastique Les Revenants en 2004, plus notable pour avoir inspiré la série homonyme de Canal Plus que pour sa propre proposition dans le genre du film de morts-vivants. Eastern Boys, lui, traîne du côté du thriller amoureux, avec un peu plus de réussite (même s’il peut désarçonner au premier abord, comme quand nous l’avons découvert à la Mostra de Venise l’an passé). Les prémisses : à Paris, Daniel, un banlieusard aisé, est attiré par Marek, un jeune d’origine étrangère qui traîne dans et autour de la gare du Nord. Il hésite, mais Marek va au-devant de son désir et convient avec lui d’un rendez-vous à domicile pour une relation sexuelle tarifée. C’est un traquenard : à l’heure dite, Daniel voit son appartement envahi sans violence par la bande slave de Marek — dirigée par le charismatique mais sanguin « Boss » — qui fait une belle bringue sous l’œil désarmé du résident tout en dépouillant les lieux de leur contenu, avant de disparaître. Puis, alors que Daniel reconstitue jour après jour son petit confort, Marek revient sonner à sa porte…
Autopsie d’un rapport
Eastern Boys fait penser à un lointain cousin urbain de L’Inconnu du lac, en ce qu’il aborde ouvertement l’amour comme une prise de risque sérieuse, un plongeon mortel, nécessitant de sortir définitivement de sa zone de confort. Sa différence est que son personnage principal, contrairement au baigneur de Guiraudie, est bien réticent à franchir ce pas, bien qu’il ne puisse y échapper. Laissé complètement désarmé par le piège et le vol dont il est victime, au point de laisser soupçonner qu’au fond ces événements réalisent un souhait secret (la scène, baignant dans des pulsations de musique électronique et faisant trembler le reflet du héros dans un miroir, a quelque chose de sensuel), il n’a cependant de cesse, avant et après, de se chercher des garde-fous hiérarchiques contre ses propres inclinations. Dès le commencement, le rapport de prostitution qui lui est proposé s’offre comme un alibi régulateur aux désirs qu’il n’ose exprimer franchement. Après le vol, il ne s’autorise à revoir Marek que suivant un rapport similaire, soumettant le désir mutuel au transfert d’espèces et de biens, sans que la confiance mutuelle s’installe jamais tout à fait. Pour que celle-ci soit fondée, il faudra un faux happy-end au goût un peu amer, avec une intervention de la loi pour instaurer un autre type de rapport hiérarchique, asexué, basé sur un certain mensonge, finalement pas si rassurant.
S’approprier
Ce que conte Eastern Boys est un drame de l’amour perverti par une certaine lâcheté, par le refuge derrière l’idée de dépendance mutuelle, par la sujétion au matérialisme. Daniel, accroché à son confort alors que ses désirs le tirent vers l’inconfort, se rassure en régulant en permanence sa prise de possession de l’autre, en y reproduisant un rapport de classe des plus sournois, et n’exprime librement ses élans qu’au moment où le danger — pour lui, pour Marek — est inévitable. Il trouve d’ailleurs un envers fascinant dans le personnage de Boss, moins soumis, plus instable, plus narcissique, courant lui aussi avec le confort matériel mais selon des règles plus sauvages — antagoniste étonnamment attachant, moins défini par la menace qu’il représente que par la réponse que renvoient ses névroses à celles de Daniel.
L’approche de Campillo ne manque pas d’acuité ni d’intuition. Ce qui l’empêche d’enthousiasmer tout à fait est que le réalisateur, tout à sa quête de la mener à bien sans s’appesantir, laisse parfois son savoir-faire devenir démonstratif, tirant le film du côté de l’exercice un peu froid à force de vouloir être léger. On pense à cette superflue division en chapitres marqués par des intertitres — aux intitulés certes charmants sur le plan littéraire, mais faisant miroiter un imaginaire qui peine à s’incarner par ailleurs. Mais c’est surtout le dernier chapitre qui démange : ludiquement intitulé « Donjons et Dragons », il distille un suspense pas aussi prégnant qu’il eût pu l’être, la faute à un aspect d’exercice de style un peu trop voyant, entre l’usage posé de la musique légère d’Arnaud Rebotini et celui des instants obligés du thriller. Cet aspect d’élève jouant d’un air légèrement détaché avec les ressorts du genre pose un voile inopportun sur l’intelligence certaine du propos, laquelle devrait néanmoins être saluée.