Cinéaste argentin remarqué pour ses comédies sentimentales souvent primées (la dernière sortie en France : Une nuit avec Sabrina Love, 2001, avec l’almodovarienne Cecilia Roth), Alejandro Agresti a été appelé par Hollywood pour réaliser le remake d’un film coréen… Un curieux mélange des cultures pour la réunion de Keanu Reeves et Sandra Bullock, pour la première fois depuis le film d’action Speed (1994), dans une comédie romantique flirtant avec la science-fiction.
Rarement le cliché de l’amour entre deux personnes qui n’auraient jamais dû se rencontrer aura été appliqué à ce point à la lettre au cinéma : le sujet tient dans une romance épistolaire entre une infirmière vivant en 2006 et un promoteur immobilier vivant… en 2004. Cette aberration scientifique, la rencontre de deux espaces-temps décalés de deux ans jour pour jour, ne donne pas lieu à de vertigineuses considérations einsteiniennes, mais à l’illustration de thèmes plus classiques et attendus. Dont le plus chéri à Hollywood : celui de la « seconde chance », ou la possibilité de réparer le cours d’un destin défavorable. Quelques grosses ficelles de la comédie romantique laissées ici et là font sourire, comme certains événements majeurs coïncidant miraculeusement avec la Saint-Valentin.
« Transmission d’un temps à l’autre »
Le film se distingue cependant de la masse anonyme des bluettes de série pour deux raisons. D’abord, il dépeint deux personnages assez lucides sur eux-mêmes et enclins à l’humour pince-sans-rire, voire à l’autodérision, ce qui donne à leur romance un ton décalé qui lui fait échapper à la niaiserie. L’interprétation des deux stars n’est pas extraordinaire, juste idoine.
Le film frappe surtout par l’implication du réalisateur qui, rebondissant sur le postulat insolite du scénario, se livre à un travail visuel sur les parcours parallèles des deux correspondants, utilisant notamment divers moyens cinématographiques pour en suggérer l’interconnexion. Ainsi, le montage parallèle de ces parcours emploie des raccords particuliers, rendant fluide le passage de l’un à l’autre et suggérant l’osmose entre les deux : fondus enchaînés (un plan s’estompe en laissant apparaître le début du suivant), raccords en volet (un plan « glisse » hors champ pour être remplacé par le suivant). Des éléments du décor sont habilement employés pour figurer le saut entre les deux temps : on retiendra la scène où Reeves plante un arbre devant un panneau représentant un immeuble en construction, et où Bullock, deux ans après, découvre l’arbre devant l’immeuble fini en lieu et place du panneau. Agresti finit même par oser, à quelques reprises, l’incongruité de réunir les deux temps dans un même plan et un même lieu, et de substituer à la voix-off de la correspondance épistolaire un dialogue pourtant impossible, sa mise en scène assumant alors avec un bel aplomb la nature fantastique de cette relation. D’autres scènes de transmission d’un temps à l’autre se passant de ce travail visuel fonctionnent un peu moins bien : ainsi, la vision d’une boîte aux lettres s’ouvrant toute seule manque du charme discret de ce fantastique fonctionnant principalement sur la suggestion.
On peut regretter que le cinéaste manque d’inspiration sur d’autres scènes. Ainsi, la rencontre, en 2004, entre l’homme auteur de plusieurs lettres et la femme qui n’en a encore écrit aucune, le premier seul connaissant la seconde, est assez pauvrement mise en scène, délaissant le caractère cocasse de la situation. De même, le climax final sacrifie à un suspense grossier et archi-convenu, filmé dans un ralenti d’un cliché plombant, tout comme le flash-back facile qui le résout. Le film ne marquera donc pas l’histoire du cinéma par une rupture brutale avec les conventions de la comédie romantique hollywoodienne. Néanmoins, il est actuellement assez rare de voir un film de ce genre exécuté, non par un tâcheron anonyme sans idées, mais par un artisan impliqué de façon véritablement cinématographique, même à un niveau modeste. Ce n’est pas rien.