Et mon cœur transparent met en scène la quête de Lancelot Rubinstein, un étrange écrivain qui va peu à peu découvrir la vie secrète de son épouse Irina suite à sa mort brutale, dans des circonstances énigmatiques. Le titre fait référence au poème Mon rêve familier de Paul Verlaine, dont Lancelot écrit une biographie. L’ensemble du texte, qui évoque une femme idéalisée à la fois familière et inconnue, est présent en filigrane dans le récit que ce soit de manière verbalisée ou dans l’incarnation des personnages. Le scénario, adapté du roman homonyme de Véronique Ovaldé paru en 2008, qui semble au premier abord un thriller psychologique, s’avère surtout traiter de l’essence des relations sentimentales. Est-il possible d’être totalement transparent avec celui que l’on aime, et comment continuer à aimer une femme qui n’a finalement jamais existé, celle qui n’est « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre » comme le disait Verlaine ?
David et Raphaël Vital-Durand, qui ont réalisé principalement des clips et des publicités, ont opté ici pour un dispositif narratif qui n’a rien de révolutionnaire (Lancelot est le narrateur et de nombreux flash-backs ponctuent son récit à mesure que son enquête avance), mais il se dégage de leur premier long métrage la réelle volonté de proposer une expérience sensorielle à travers leur personnage principal. La première hallucination de Lancelot, croyant voir un singe sur un balcon, est la première pierre de l’univers étrange et onirique que les réalisateurs ont créé pour questionner sa réalité. Ils proposent également un mélange des genres bien dosé, en disséminant des séquences surréalistes — un trou béant démesurément profond là où se tenait une villa, un dîner romantique en plein brouillard — qui apportent une touche de légèreté décalée, tout en faisant écho à l’intériorité du personnage, vide et perdu.
Un chevalier sans courage
Loin de la figure romanesque qui lui a valu son prénom, Lancelot est un chevalier assoupi et déconnecté du monde qui assume dans son premier monologue d’ouverture, en voix off, vivre dans « une absence paisible aux autres ». Julien Boisselier, qui incarne ici l’anti-héros, donne brillamment corps à un personnage complexe glissant vers la folie grâce à une interprétation toujours sur le fil, devenant rapidement l’intérêt majeur du film. La voix de l’acteur en off accompagne le récit d’une diction appuyée et d’un ton envoûtant, rappelant l’aspect incantatoire du poème de Verlaine, ce qui installe dès les premières minutes une ambiance mystérieuse et suscite la curiosité. Pour illustrer son basculement mental, les réalisateurs ne lésinent pas sur les effets visuels, mais avec beaucoup de précision : distorsions, jeux de miroirs, gros plan pour accentuer les signes du malaise du personnage. Ils jouent également sans cesse entre la surexposition dans les séquences extérieures pour signifier la sensation d’agression de Lancelot par les interactions sociales qui le mettent mal à l’aise, puis une lumière faible et indirecte lorsqu’à l’inverse il se retranche en intérieur sous l’emprise de médicaments douteux. Les bruits et les sons amplifiés interpellent et participent intelligemment à l’immersion dans l’étrangeté, comme les respirations, la déglutition ou encore la langue d’un chat qui se lèche les babines, pourtant à plusieurs mètres de nous.
Bien plus que l’objet du désir de Lancelot, Irina — ou plutôt sa mort — est la clef de son réveil. Malheureusement Caterina Murino peine à convaincre en militante écologiste qui regrette d’avoir par le passé « donné son cul à tout le monde », comme elle le confesse à son amant. Certes elle est par certains aspects à l’image de la femme du poème de Verlaine, sublime et idéalisée, mais son attitude de femme fatale dominatrice, tenue ultra-moulante et rouge à lèvres couleur sang, finit par rendre le personnage de Lancelot pathétique et le fait quitter quelque peu sa singularité poétique. Malgré un récit prenant à la fois sombre et romantique, certaines séquences consacrées à Irina — notamment aux liens noués avec la fille du voisin pour illustrer son potentiel maternel — ajoutent des longueurs au film au lieu de se concentrer sur la quête de son personnage principal. On regrette également que la grande révélation soit expédiée en quelques secondes, comme un aveu des réalisateurs qu’elle ne mérite pas de s’y attarder. Et mon cœur transparent aurait gagné à délaisser une plus grande partie de l’œuvre originale pour creuser encore davantage la crise existentielle de Lancelot, mais il a toutefois le mérite de proposer un univers décalé qui en fait un objet intrigant.