En prenant connaissance de tous les éléments de l’affaire Preynat (du nom de ce prêtre accusé d’agressions sexuelles à Lyon qui aurait bénéficié de la protection du cardinal Barbarin), François Ozon a d’abord eu l’idée d’en faire un documentaire mais, répondant notamment à la volonté des victimes, dont les témoignages constituent le matériau premier du film, le réalisateur s’est décidé pour une fiction, malheureusement encombrée par son exigence de véracité.
Disons tout d’abord un mot de la construction de l’intrigue. En prenant comme fil rouge la création de l’association de victimes La parole libérée, Ozon organise un passage de témoin entre les trois protagonistes principaux qui se retrouvent successivement mis en lumière. Ce qui pourrait apparaître comme une bonne idée dans la mesure où ce choix permet au film de rebondir après la première partie, plus riche et intéressante que les deux autres, introduit en réalité une division en épisodes très convenue. Ce chapitrage qui lorgne du côté de la série n’évite pas les écueils du genre en répétant à l’envi le même schéma narratif.
À gros traits
Sur le plan des faits – pour autant que l’on puisse en juger – le film semble irréprochable. Le moindre détail, issu des articles de presse ou directement puisé dans les témoignages recueillis, est scrupuleusement reproduit, des lieux aux courriers, en passant par les interviews et les conférences. Les personnages, dont les noms restent peu ou prou les mêmes (seuls ceux des victimes ont subi quelques modifications), ressemblent à s’y méprendre à celles et ceux qui les ont inspirés. Pourtant, dès la première partie du film, cette exactitude absolue induit un certain décalage qui ne fait que s’accroître au fil des scènes : les courriels qu’Alexandre, le premier à avoir porter plainte contre Preynat, échange avec Régine Maire, psychologue mandatée par Barbarin, sonnent étrangement faux, bien que visiblement tirés du dossier. Peut-être parce que le film confond deux choses : d’une part, la vérité, et d’autre part ce que l’on pourrait nommer la « qualité de réel ». À trop vouloir coller à la première, il ne laisse plus à la seconde la possibilité d’advenir.
Alors qu’elle devrait donner corps aux personnages et aux situations, cette accumulation de détails à l’authenticité garantie empêche au contraire la vie d’apparaître sur l’écran. C’est que le moindre dialogue doit nourrir la démonstration, que chaque scène familiale charrie un discours, que rien ne semble exister en dehors de la mécanique du film. On a ainsi le sentiment que tous les personnages, principaux comme secondaires, n’ont été écrits que pour actionner de nouveaux rouages. Peu importe alors si les contextes sociaux, familiaux, professionnels se trouvent dépeints avec une telle grossièreté puisque tout doit être immédiatement éloquent. Fidèle à l’adage télévisuel selon lequel la réalité dépasse la fiction, Ozon conserve certaines ramifications étonnantes de l’affaire (par exemple, la femme d’Alexandre s’avère être elle-même victime d’abus sexuels) et les inclut dans des rebondissements forcément invraisemblables, puisqu’aucune dimension profonde et cachée du film n’existe d’où ils auraient pu émerger.
Ces défauts sont d’autant plus regrettables que l’on entrevoit la grandeur potentielle du film dans quelques plans gratuits, disséminés çà et là, qui échappent à l’implacable ingénierie : la connivence touchante de François et de Gilles lorsqu’ils se moquent d’Alexandre, ou encore lorsqu’ils gravissent, dans un plan d’ensemble saisissant, l’escalier blanc de l’hôpital où travaille Gilles après avoir décidé de faire front commun. La métaphore, certes appuyée, convoque en une seconde le souvenir de Capra et donne un avant-goût de l’épaisseur qui fait cruellement défaut au reste du film.