Filmer la violence n’est pas chose facile, d’autant moins quand cette violence est politique et enserrée dans l’histoire nationale du réalisateur. Pour son premier long-métrage, David Wnendt suit la trajectoire fatale d’une jeune néo-nazie plombée par l’autorité des hommes qui l’entourent. Mais, au-delà de ce portrait féminin fasciné, la représentation de la violence, objet d’esthétique autant que de critique, perd de sa valeur et de sa force dans le tourbillon d’images obsessionnel et un peu vain qu’elle déclenche.
On a parlé, avec l’arrivée du nouveau millénaire, d’une « école de Berlin » pour désigner une mouvance du jeune cinéma allemand, ressemblant davantage à un réseau d’amis et d’entente sur les conditions de production qu’à un serment des Horaces artistique. La plupart de ses tenants, comme le réalisateur de Pingpong, Mathias Luthardt, refusait cependant le psychologisme et la dramatisation à outrance des névroses de l’Allemagne contemporaine. Si l’on y trouvait quelques émules des Dardenne, on pencherait ici plutôt pour la référence à Bruno Dumont. Mais les Fassbinder aux petits pieds ont du mal à créer la symbiose entre subtilité de la monstration et terreur de l’objet représenté, nécessaire au développement d’un discours sur la violence qui dépasserait la simple illustration. C’est probablement le plus gros problème que pose Guerrière, film qui oscille de façon permanente entre le portrait nuancé d’une jeune néo-nazie et la mise en espace de son environnement terrifiant.
Marisa n’a pas d’âge précis, mais elle semble à peine avoir le droit de vote. Elle vit chez sa mère, terrifiée et impuissante, et erre de visites à l’hôpital (où son grand-père antisémite se meurt) en réunions du groupe nazi auquel son amoureux et elle-même appartiennent. David Wnendt réussit à la placer dans le cadre lorsqu’il filme la femme en proie à des accès de violence ou de tendresse, mais tombe dans la démonstration de force cinématographique lorsqu’il fait de sa Marisa un objet d’argumentation politique. Tatouée d’aigles, de croix gammées et autres symboles charmants, Marisa se trompe, se perd, et en prend conscience trop tard. C’est cela qui devrait surgir, et surgit de temps à autre ; mais ce n’est pas la toile d’araignée que le réalisateur a choisi de décortiquer. Malheureusement, il coupe chaque éclaircissement, chaque fulgurance humaine de scènes coup de poing qui rappellent maladroitement la violence interne au groupe fascisant et ses répercussions sur la vie sociale. S’il ne reprend évidemment pas à son compte les agissements pervers de la fratrie dégénérée, Wnendt n’arrive pas à en extraire plus qu’un amas composite de gros plans montés rapidement qui enchaîne les beuveries et autres lynchages facilement expliqués par le visionnage collectif de discours d’Hitler ou de reportages antisémites.
Il y a pourtant plus d’une piste de réflexion – classiques, certes – dans Guerrière : en témoigne la construction hiérarchique de l’existence de Marisa, soumise à l’autorité de son grand-père, mêlée de bienveillance et de propagande, comme à celle de son compagnon, brute épaisse sans cervelle qui, comme de bien entendu, fait l’amour bestialement. De Bergman (L’Œuf du serpent) à Haneke (Le Ruban blanc), l’héritage de la violence a fait florès dans le cinéma européen. Mais cette tension familiale qui transparaît dans la société réelle est balayée dans un réflexe déterministe. Il en est de même pour les portes de sortie : sur le chemin tortueux de la prise de conscience, Marisa rencontre un sans-papier pakistanais, Rasul, dont elle provoque par haine raciste l’accident de mobylette. Il est son bon génie, ponctuellement présent, l’objet de la tension et du doute. Mais, là encore, la piste n’est qu’effleurée, faisant de la libération morale de Marisa une sorte d’expiation trop explosive et tragique pour être bien honnête.
C’est l’attention aux contrepoints réels qui manque à Guerrière : Wnendt passe du point de vue subjectif de son héroïne à la mise en pâture visuelle des orgies nazies sans trouver le point d’ancrage de son film. Qu’en est-il, par exemple, de cette brune mystérieuse qui suit le groupe paramilitaire sans y sembler intégrée mais sans oser le corrompre ? La violence gratuite se mélange au désir de maternité, à la bestialité sexuelle et à la soumission familiale sans produire autre chose que des figures évanescentes (parfois réussies comme celles de Marisa et de sa jeune adepte, Svenja) et ne laissant d’autre trace qu’une esthétisation des moments de naissance de l’amour et de l’effroi. On retrouve finalement dans cette tentative de portrait générationnel les défauts d’un naturalisme social qui oscille entre une reproduction du réel et sa dramatisation, se laissant tenter, malgré lui, par le grossissement des caractères et l’abandon de leur complexité.