La première scène de High Life promet un film de science-fiction à la fois tendu et intime, élaboré autour d’un duo père-fille perdu dans l’espace et en proie à toutes les menaces possibles. On y découvre un spationaute en apesanteur (Robert Pattinson) réparant son vaisseau tout en gardant une oreille attentive aux babillements d’un bébé laissé seul à l’intérieur, malgré le son, en arrière-plan, du film d’Edward Curtis In the Land of the Head Hunters. Le mélange entre intimité de la relation et tension née de la chute malvenue d’un outil dans le vide laisse craindre un cliff-hanger immédiat et distille un premier sentiment de danger. Pourtant, à rebours de cette promesse, High Life se range dès la scène suivante, par sa structure enchâssée dans un long flash-back, du côté du récit d’une fin du monde miniature, celui d’un huis clos spatial tournant au survival à la portée philosophique multiple.
Cabale sexuelle
On avait laissé Claire Denis sur Un grand soleil intérieur, comédie mélancolique sur l’espoir amoureux, avec Juliette Binoche en tête d’affiche ; on la retrouve ici avec un film de science-fiction ésotérique qui évoque par son ambition tant le meilleur de 2001 : l’Odyssée de l’espace de Kubrick (pour le voyage sans retour cauchemardesque) que le pire de Voyage of Time de Terrence Malick (pour ses rares plans du cosmos aux allures explicitement métaphoriques). Ce grand vaisseau rectangulaire, qui véhicule un groupe de condamnés à mort envoyés à titre expérimental explorer les confins du monde (un trou noir), est filmé à la fois comme le tombeau (un cercueil volant) et l’espoir de l’humanité (un spermatozoïde dans l’immensité étoilée). En autarcie alimentaire, coupés définitivement de la Terre, supervisés par le médecin de bord (Juliette Binoche), l’équipage est tout entier voué à sa survie : recyclage des matières fécales, agriculture sous serre, rapports détaillés quotidiens. Cette vie en cycle fermé pourrait durer éternellement si seulement elle était en mesure de perdurer : c’est la mission que se donne Binoche, sorte de grande prêtresse du sexe, « chamane à sperme » comme elle se définit elle-même, qui monnaie de petites doses de drogue contre la semence des hommes à bord pour tente de créer la vie tout en s’adonnant à de grandes cabales mystiques dans une mystérieuse pièce. Amplifiées par une mise en images d’une grande plasticité (des tableaux très graphiques, presque abstraits, de son corps nu découpé sur fond noir, qui rappellent la plasticité de Jonathan Glazer dans Under the Skin, ou encore lors de cette magnifique séquence de largage des corps dans l’espace), ces scènes rituelles contribuent à mettre en tension le film, tandis que l’équipage s’autodétruit progressivement, comme pris de folie, pour la chair d’une des jeunes prisonnières et d’un Pattinson abstinent.
Fable de la paternité
On l’a compris, par sa dimension de huis clos, sa violence en germe et son discours sur la filiation, High Life renverrait davantage à Alien de Ridley Scott qu’à ses augustes modèles interstellaires. Film d’intérieur, High Life ne s’aventure en réalité que rarement dans l’espace, même si tout l’enjeu de la sexualité, comme acte physique autant que comme geste de transmission de la vie, renvoie au vertige métaphorique des jeux d’emboîtement d’échelles que permettent les images du cosmos. Ici, contrairement au film de Ridley Scott, le démon matriciel est moins la monstrueuse créature surgissant des entrailles que celle non moins monstrueuse incarnée par Binoche qui tente par tous les moyens de créer la vie dans le vaisseau. La violence n’est pas inoculée, elle vient surgir d’un intérieur bouillonnant, elle née d’une tension sexuelle non résolue. Malheureusement, dans le déroulement concret de ce programme, les personnages secondaires parfois trop superficiels ne permettent pas de sentir l’escalade de violence que le film cherche à bâtir dans la mise en tension de l’équipage. Dès lors, le jeu de massacre entre les voyageurs perd de son intensité, malgré la bande sonore électrisante de Stuart A. Staples. Inabouti dans son geste de film d’action et inutilement insistant sur ses enjeux philosophiques, High Life n’est jamais meilleur que lorsqu’il se rapproche de ses acteurs principaux et interroge ces enjeux de filiation, par la voie de la folie d’une mère ou celle du détachement timide d’un père.