Sur le même canevas que dans son premier film lumineux Y aura-t-il de la neige à Noël ?, Sandrine Veysset brode une nouvelle trame dramatique sur la maternité en milieu rural. L’originalité assumée de cette œuvre semble être le recours au fantastique et la référence plus explicite au conte de fées, dans l’objectif de transfigurer l’anecdote de la mère singulière en propos plus allégorique sur le fardeau sacrificiel du don de la vie — celui d’une mère, de n’importe quelle mère. Inspiré directement d’un conte d’Andersen, le film entrelace deux histoires : celle de Neige (Lou Lesage), une fille-mère sous le joug d’Héloïse, sa propre génitrice, vieille paysanne sorcière toute entière dédiée aux travaux de la ferme et le pèlerinage d’une femme intemporelle (également incarnée par Lou Lesage) cherchant à sauver son enfant des griffes de la Mort dans une forêt effrayante. Cependant, là où le premier film de Sandrine Veysset cherchait à transformer la peine de la mère incarnée par Dominique Reymond en un acte d’éducation, celui-ci fait davantage le choix de la noirceur et semble conclure sur un nécessaire renoncement à la vie de la mater dolorosa au profit du nourrisson fragile. Il en ressort une féérie étrangement lugubre et hors du temps prise entre des enjeux sociologiques insuffisamment développés et un vrai potentiel magique dont le film exploite le caractère obscur sans véritablement parvenir au surnaturel.
Brouille des classes
La campagne dans laquelle se déroulent les mésaventures de Neige est un décor qu’on ne saurait situer à la fois géographiquement et temporellement : la forêt du rêve se superpose à celle dans laquelle se déroule la véritable intrigue. L’ambition allégorique d’un tel choix est tout de même en contradiction avec la volonté de mettre en scène plusieurs conflits : conflit de générations entre une grand-mère plus traditionaliste et sa fille, conflit de classe entre Neige et un ancien amant plus aisé, fils du maire et vraisemblablement père de son enfant, conflit entre la ville et la campagne. Le conflit générationnel, tout d’abord, est joliment dessiné mais le choix de Lou Lesage au casting crée une sorte de dissonance esthétique avec le tableau précis de la campagne qui est visé : son jeu et son apparat en font davantage l’incarnation parfaite d’une jeune fille urbaine qui semble ici, en terrain étranger ou en vacances. Elle semble échapper à la fois par sa contemporanéité même à l’universel recherché par la fable et à la portée documentaire de l’exploration sociologique. L’étude réaliste achoppe également sur la représentation du couple de citadins qui représentent clairement les opposants du conte de fées. Le futur marié est, on le devine à travers de fines allusions, le père de l’enfant de Neige. On sent dans la représentation de ces derniers la volonté d’en faire des symboles d’une certaine bourgeoisie de notables éprise de grands mariages et pleine de mépris pour la campagne où ils ont leur résidence secondaire. Néanmoins, ils sont insuffisamment creusés. Demeurant à l’état de silhouettes naturalistes, ils semblent incarner un regard social daté et trop simpliste sur le phénomène de la fille mère.
Vieilles dentelles
C’est là, en réalité, tout le problème du recours à la fable. En choisissant de ne pas situer son histoire, et de rendre hommage à une campagne immémoriale très bien peinte dans une palette pastel, Sandrine Veysset fait le tableau d’une France qui semble figée dans le marbre, potentiellement réaliste, mais résolument conservatrice dans les thématiques abordées qui renouvellent insuffisamment le genre du point de vue de l’écriture. Ainsi, la noce gâchée par l’amante bafouée et délaissée a quelque chose de poussiéreux dans son emprunt aux grands romans ruraux du dix-neuvième siècle. Cette scène est importante, par ailleurs, dans la mesure où elle met en scène une belle danse sensuelle et nocturne de l’héroïne en robe blanche, semblable à une Ophélie débarquée de l’asile, qui tranche avec la rigidité conformiste du rituel qui l’entoure. Elle figure aussi l’une des trop rares échappées du personnage qui demeure relativement sage dans sa subversion des normes matriarcales : elle accepte régulièrement les châtiments verbaux liés à sa situation, on lui apprend à rester à sa place et à confectionner des napperons sans broncher dans une société étrangement féodale. Le discours social entériné par la grand-mère est d’ailleurs repris en bout de course par une conclusion tragique qui est aussi savamment moralisatrice et plombante : il ne faut pas laisser les enfants seuls, la vie d’une mère doit être sacrificielle.
Magie quotidienne
Cependant, c’est dans cette magie qui entoure la figure de l’enfant que le film trouve ses beaux moments. Le fils acquiert des dimensions presque merveilleuses tant il semble être capable d’un jeu d’apparition et de disparition incessant. Enfant que la société ne désire pas voir, il prend à la lettre cette injonction et ne cesse de faire des frayeurs à sa grand-mère en se dissimulant dans les endroits les moins attendus. Comme dans les grands modèles du genre fantastique, il est le vecteur d’effroi le plus important car sa simple présence à l’écran, bien qu’engagée dans des activités anodines, semble nous menacer d’un danger imminent. Ce cache-cache permanent permet de véhiculer une idée centrale du film de Sandrine Veysset, avec plus de subtilité encore que la menace de mort qui pèse sur le nourrisson dans le conte d’Andersen : la vulnérabilité physique constante de l’enfant et le risque que représente son existence. À cet égard, les moments de conte de fée souffrent, quant à eux, de leur manque de moyens pour faire naître le surnaturel : l’onirisme est codé visuellement par un décor plus grisé mais il n’est pas exploité comme potentiel de fuite franche vers l’imaginaire et ses créatures. En ce sens, le fantastique naît davantage des passages « réalistes », du décor de vieille maison craquelante dans laquelle il ne fait pas bon dormir, des pouvoirs de coupeur de feu de la grand-mère, de cet enfant trop lucide. La Mort se ressent davantage ici que dans l’allégorie qui en est donnée dans la partie Andersen : à cet égard, la belle interprétation de Catherine Ferran donne à voir la solitude malheureuse de manière poignante si bien que c’est l’image d’une femme abandonnée, marâtre superbe, pleurant sur son lit, que nous choisissons de retenir de l’Histoire d’une mère.