Alléluia : une bobine de film est mystérieusement retrouvée. Le grand D.W. Griffith peut donc dormir tranquillement sur ses lauriers ? En fait, non. Celle-ci détaille par le menu la vie pas normale des Zogs, petits extra-terrestres qui ont la particularité d’avoir une tête génitale et des parties pensantes. Horreur et stupéfaction des Terriens qui se demandent s’il ne serait pas bon de passer ces amis à la question, voire de les exterminer. Bienvenue dans le monde. Actuel.
Que ceux qui pensent que le cinéma d’animation est uniquement réservé aux enfants quittent cet article et se taisent à jamais. À l’instar de son collègue Bill Plympton, Phil Mulloy est un cartoonist de mauvais poil à l’humour misanthrope cinglant, obsédé de sexe et de transgressions diverses, qui n’aime rien tant que tourner en dérision les vilaines manies de ses contemporains. Comprendre tendre un miroir peu flatteur en appuyant là où ça fait mal. Ainsi, depuis ses débuts, tous les individus qui peuplent son imaginaire fécond passent sous son regard acerbe et finissent généralement en miette à la fin du récit. Intolérance ne fait pas exception à la règle. Certains doivent connaître le premier segment de cette saga pour l’avoir déjà vu dans Mondo Mulloy, collection d’une dizaine de sketchs orchestrés par le maître et précédemment sortie dans l’Hexagone.
À travers une histoire inracontable qui n’appartient qu’à son auteur, Mulloy suit le parcours de personnages singuliers dans un clivage manichéen de guéguerre froide entre deux clans ennemis : des humains – on serait tenté de dire des Américains quitte à verser dans la caricature – qui ont peur de ceux qui ne leur ressemblent pas et des extra-terrestres dont l’intelligence n’a rien d’artificielle. Il est bien fini le bon vieux temps où l’enfant et l’extra-terrestre faisaient renaître des fleurs et volaient de concert sur une bicyclette. Même Steven Spielberg dans La Guerre des mondes court-circuitait son usuel sens humaniste pour révéler un constat d’une noirceur inouïe. Avec ses propres moyens, Mulloy fait la même chose. Sauf que lui, il rigole sec et franc en donnant mine de rien à réfléchir sur ce que signifie cette fichue notion de « tolérance ». Il sous-entend que « tolérer l’autre » signifie se mettre avec outrecuidance au-dessus d’icelui et donc adopter la posture du vilain donneur de leçons.
L’artiste a donc beaucoup de choses à dire ; et, malgré un style abrasif et un refus des fioritures, il manque un tantinet de moyens, de temps et de clarté pour faire émerger ses grandes idées sous ses rebondissements barrés. Ainsi, les événements, souvent peu tristes, surabondent à une telle vitesse qu’on est constamment menacé de perdre le fil narratif voire de se désintéresser des personnages, au prime abord attachants. C’est sans doute pour cette raison qu’Intolérance part en trombe et fonctionne de guingois avant de s’écraser sur une conclusion on ne peut plus tiède. Cause à effet : l’ensemble, minimaliste et volontiers redondant, n’évite pas toujours l’écueil du schématisme propre à l’alignement de saynètes et le grand bain hystérique souffre de fâcheuses baisses de régime éparses. Heureusement, ces contrepoints artificiels ne gâchent que partiellement cette sarabande à l’argument bis et branque qui épingle toutes les dérives des sociétés modernes et séduit par intermittence le regard et l’esprit. Celui qui a envie de respirer entre deux blockbusters abrutissants a le droit d’y goûter.