Zabou Breitman aime filmer les histoires d’amour contrariées : celle entre deux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer dans le joli Se souvenir des belles choses (2002), celle qui unit deux hommes – l’un hétéro et marié, l’autre homo et célibataire – dans le décevant Homme de sa vie (2006) et aujourd’hui celle, aussi passionnelle que tragique, entre un homme d’affaires blasé et une interprète mystérieuse dans Je l’aimais, adapté d’un roman d’Anna Gavalda. On serait tenté de lui donner raison, à Zabou : d’autres qu’elle ont bâti de belles carrières à ne filmer que ça. Les petits atermoiements amoureux et les grandes passions malheureuses ont toujours fait le bonheur des cinéphiles. Mais encore faudrait-il avoir quelque chose d’intéressant à filmer.
C’est le premier véritable problème de Je l’aimais : avec son scénario à tiroirs qui révèle un drame sentimental que l’on devine bouleversant (la réalisatrice ne cesse de nous le suggérer dans la première partie), le film se prend pour ce qu’il n’est pas. De La Femme d’à côté à In the Mood for Love, les références abondent et se révèlent cruelles : c’est que l’on ne se frotte pas impunément aux classiques… Et l’on sent Zabou Breitman si fébrile, si impatiente de signer une œuvre qui pourrait faire date qu’elle se jette la tête la première dans la gueule du loup. Filmé avec préciosité et sans recul, avec décadrages pompeux et flous artistiques gratuits, Je l’aimais se prend tellement au sérieux qu’il sombre dans le plus parfait ridicule.
Pourtant, cela commence plutôt bien : la première scène, courte et implacable, nous présente en plan fixe le visage défait de Chloé (Florence Loiret Caille, que l’on aimerait voir plus souvent, et sous de meilleurs cieux), pendant qu’au loin résonne la voix de Pierre (Daniel Auteuil), son beau-père. Chloé vient de se faire plaquer et se retrouve en carafe avec ses deux filles chez ses beaux-parents. Pierre l’emmène dans sa maison de campagne pour lui faire prendre l’air. Pendant que Chloé s’enfonce dans la déprime et l’incompréhension, Pierre se dévoile peu à peu jusqu’à, un soir, lui raconter sa propre histoire : sa liaison, cachée à sa femme et ses enfants, avec Mathilde (Marie-Josée Croze), l’amour de sa vie, qu’il laissera malgré tout partir.
Je l’aimais, c’est donc l’histoire banale d’un homme trop lâche pour suivre la femme de sa vie. Pourquoi pas ? Mais Zabou Breitman se révèle hélas bien incapable de rendre palpables les soubresauts de la passion et le déchirement de la culpabilité. Sous des nappes de dialogues affligeants de béatitude forcée (« Je t’aime, tu es la femme de ma vie, je ne peux pas vivre sans toi ») se cache un vide effarant : Zabou Breitman n’a donc rien d’autre à nous montrer qu’un homme et une femme déclamant des platitudes en se regardant dans le blanc des yeux ? Apparemment, non. La scène de la rencontre des deux amants, lors d’un rendez-vous d’affaires trilingue, se voudrait malicieuse et frissonnante ; elle est laborieuse et interminable, à l’image des rendez-vous incessants et lassants que se fixent les deux tourtereaux aux quatre coins du globe.
Ainsi, le film ne semble aller nulle part, plombé par des comédiens en pilotage automatique qui déclament des dialogues surréalistes (mention spéciale à Marie-Josée Croze). L’on pourrait presque en rire si ce n’était pas si déprimant, d’autant que Je l’aimais ne s’embarrasse pas de subtilités et dresse, en filigrane, les portraits peu élogieux de personnages secondaires que l’on aurait aimé plus travaillés. Zabou (ou Gavalda?) ne laisse ainsi aucune chance à l’épouse légitime qui hérite d’une scène de rupture ratée destinée, on le devinera par la suite, à mieux comprendre pourquoi le héros l’a trompée et comment, en décidant de rester auprès d’elle, il a raté sa vie. Mais la réalisatrice ne choisit jamais entre la médiocrité abjecte de son héros et le caractère pseudo-romanesque de sa petite tragédie sentimentale. L’ennui, puis la colère prenant le pas sur l’empathie, il ne reste plus au spectateur que le loisir de se demander quand s’arrêtera la « gérardepardieusation » de Daniel Auteuil, que l’on aimerait voir moins souvent sur les écrans, mais mieux.