Karyn « Girlfight » Kusama et Diablo Cody, la scénariste et productrice star de Juno, s’associent pour nous livrer un film d’épouvante qui a pour originalité de délivrer un point de vue féminin sur le genre. Si cette approche semblait intéressante sur le papier, Jennifer’s Body se montre trop simpliste dans le traitement de ses thématiques. Kusama et Diablo Cody se contentent surtout d’enrober leur sujet dans un amas de références au cinéma d’horreur des années 1980. Il en résulte un film pop-corn superficiel et vaguement horrifique, qui ne marquera assurément pas le cinéma fantastique.
Karyn Kusama a débuté honorablement sa carrière de réalisatrice avec la bête de festival Girlfight (film Sundance typique), dont le style « réaliste » et percutant fit sensation au début des années 2000. Après cette première œuvre prometteuse, qui laissait entrevoir un art brut, proche de l’individu et de ses ressentis, la cinéaste s’est très vite engouffrée dans un cinéma fantastique esthétisant en réalisant le médiocre Æon Flux : une production à des années lumières de l’épure de Girlfight. Jennifer’s Body, qui confirme ce virage esthétique, est un film d’horreur teenage, où le style de la cinéaste rencontre l’écriture faiblarde de Diablo Cody, la scénariste de l’aseptisé Juno. Cette association féminine donne un film fantastique qui reprend superficiellement les grandes figures esthétiques de l’épouvante des années 1970/1980 – des Griffes de la nuit à Carrie au bal du diable en passant par Evil Dead (dans l’utilisation de l’humour noir et de la caméra subjective) –, afin de disserter sur les difficultés d’être une adolescente dans le monde américain contemporain. Il en résulte une série B assez vaine en raison de métaphores simplistes et d’une esthétique trop référentielle : le mal des productions fantastiques contemporaines qui n’arrivent que très rarement à se détacher de leurs modèles ou à les réinterpréter pour créer des nouvelles figures. Cette œuvre permet surtout à Megan Fox, le nouveau critère de beauté made in Hollywood d’étaler sa plastique afin d’attirer, tel un appât putassier, les lecteurs de FHM ou de Playboy. Elle est l’héritière directe des starlettes déshabillées que l’on retrouvait dans les films Z des années 1980 : son véritable statut.
Jennifer’s Body se résume à une revanche des boutonneuses et binoclardes, qui prennent le pouvoir sur la superficialité des bimbos adorées par les jeunes hommes en quête de premiers émois sexuels : Jennifer (Megan Fox) est l’archétype – la caricature – de la beauté fatale, enviée par toutes les filles de son campus. Needy, son ami d’enfance, est une jeune fille réservée et mal dans sa peau, lui vouant un véritable culte. Suite à un rite satanique, la bombe sexuelle se transforme en démon mangeuse d’hommes. Needy, qui découvre le maléfice, décide de se venger de l’amie qui la frustre et la vampirise depuis son enfance ; elle devient une tueuse de démon, qui souhaite exorciser le mal qui la ronge : Jennifer. On devine ici l’adolescence mal digérée de Diablo Cody qui s’attaque à toutes les figures parfaites et aliénantes qu’elle a du affronter lors de son passage dans les universités américaines. La plantureuse Megan Fox est cette vamp à l’égo démesuré qui dévore tout ce qui l’entoure, sans laisser la moindre miette à son amie d’enfance. Elle tue d’ailleurs avec délectation tous les stéréotypes masculins, du gothique sympathique en mal de sexe au joueur star de l’équipe de foot du campus. Les jeunes hommes, caricaturés à l’extrême, en prennent ainsi pour leur grade : ils ne sont qu’un ensemble de crétins et de lâches. Si l’idée est assez drôle grâce au jeu de massacre que nous propose le film, elle est vraiment trop simpliste et lassante sur la durée pour séduire totalement.
Dans son esthétique et ses thèmes, Jennifer’s Body fait surtout penser à Carrie au bal du diable de Brian De Palma, qui montre une jeune fille aliénée se vengeant de sa mère ogresse et des adolescents qui la maltraitent. Dans le film de Kusama et de Cody, Needy prend sa revanche indirectement par le biais de Jennifer, puis prend le pouvoir en se montrant tout aussi sanguinaire lorsque le démon s’attaque à son petit ami. L’œuvre symbolise ainsi le passage à l’age adulte qui nécessite une libération individuelle en brûlant toutes les idoles qui freinent l’acceptation de soi. On a également le droit à notre lot de métaphores pataudes sur les problèmes des adolescentes, de la recherche de leurs identités sexuelles à leurs relations difficiles avec la gente masculine. Si l’originalité de l’œuvre provient de son point de vue féminin, assez rare dans ce type de production, le film souffre d’un traitement trop caricatural de son sujet et d’un véritable déséquilibre entre les scènes d’épouvantes et les séquences pop-corn burlesques, qui décrivent superficiellement l’univers adolescent dans une atmosphère teenage outrancière et mièvre. On est très loin de l’art de Sam Raimi, qui maîtrise parfaitement l’humour noir au sein de l’horreur pure, sans porter atteinte à l’équilibre de ses films. Jusqu’en enfer, bien qu’imparfait, en est un bel exemple. Jennifer’s Body est beaucoup plus proche de l’ambiance nanardesque de The Faculty de Roberto Rodriguez ou d’un mauvais épisode de la série Masters of Horror que des meilleures œuvres de l’auteur d’Evil Dead. Cette production manque de véritable perversité et de profondeur pour marquer le genre horrifique : si Needy brûle ses idoles, Kusama et Diablo Cody s’attachent trop à rendre hommage au cinéma d’épouvante jouissif des années 1980. Elles ne font alors qu’effleurer des sujets graves qui nécessitaient une plus grande finesse de traitement. Dommage.