Critique : Jindabyne, Australie, de Ray Lawrence

Accueil » Actualité ciné » Critique » Jindabyne, Australie

15 août 2007

Jindabyne, Australie (Jindabyne)

L'été meurtrier

Levons lâchement un coin de voile : Stewart Kane, un homme d’origine irlandaise, vit dans une petite ville australienne. Parti avec ses trois amis pour une randonnée de pêche dans les montagnes, il découvre le cadavre d’une jeune femme dans la rivière. Les quatre hommes décident pourtant de ne pas rentrer tout de suite ; ils continuent tranquillement à pêcher et ne signalent leur macabre découverte que quelques jours plus tard. À leur retour, ils sont confrontés à la colère et à l’incompréhension de toute une communauté. Si, en lisant le synopsis, vous avez l’impression d’avoir déjà entendu parler de cette histoire, rien d’étonnant : Ray Lawrence, réalisateur australien émérite qui nous avait gratifié d’un beau Lantana il y a quatre ans, adapte la nouvelle de Raymond Carver qui a déjà inspiré le splendide Short Cuts de Robert Altman. Une manière d’affirmer une nouvelle fois un amour sincère pour les chroniques polyphoniques fomentées par feu Bob.

Quand le film déroule sa première bobine (une femme en voiture se fait agresser par un tueur en série), on se demande où le scénario nous mène. À vrai dire, cette délicieuse impression de navigation à vue ne nous quittera jamais. Jusqu’à ce qu’on fasse le rapprochement avec Lantana, précédent opus du réalisateur Ray Lawrence, où les charivaris intérieurs des personnages passaient avant les us et coutumes du polar. Légitimement, Jindabyne, Australie souffre de cette comparaison écrasante en annihilant tout effet de surprise et en récitant une formule certes efficace et stimulante mais sans réelle ambition. Le résultat est donc inégal même si pour le meilleur (naviguer dans les eaux troubles) comme pour le pire (souligner trois fois plutôt qu’une), le cinéaste parvient à faire déraper les conventions.

Avec lui, il convient de se méfier de ce que les images font mine de nous montrer. Comme Lantana, Jindabyne, Australie est un film qui avance masqué et triche avec notre perception. L’actrice Laura Linney, en très grande forme, hisse l’exercice à un niveau supérieur à travers un rôle difficile et révèle les détails d’un personnage complexe. Sans en avoir l’air, le contexte horrifique sert de moteur à une étude de caractères plutôt bien vue. A travers la traque d’un tueur en série presque fantomatique et catalyseur des frustrations (dont nous connaissons l’identité dès les premières images), Lawrence renvoie un miroir social dérangeant et montre un monde paisible ébranlé par un loustic (le tueur en question qui passera tout le métrage à sillonner les routes sans souci). Le réalisateur sait, comme pas grand monde, capter des sentiments essentiels dans des séquences qui répondent apparemment à la plus rigoureuse simplicité et rappelle au détour de nombreuses scènes qu’il a plus d’un tour dans son sac pour capter l’attention au moment où il faut. Avec distance, il regarde des hommes se fourvoyer dans la haine et des réactions primaires au lieu d’essayer de chercher le responsable du crime.

Le rythme lent est idoine pour que les personnages se reconstruisent et constatent un sentiment de gâchis existentiel. S’il s’embourbe dans une dernière partie inutilement étirée et n’évite pas toujours un traitement emphatique de « grands thèmes » (poids de la culpabilité, incapacité de communiquer autrement que par la violence), le cinéaste qui ne possède pas la subtilité d’un Antonioni ni même la maîtrise formelle d’un Altman a le bon goût de contrer ces écueils par un plan final incongru qui contribue à ce que l’on considère tout ce que l’on vient de voir au second degré du grand-guignol. Un film inégal de Ray Lawrence qui ne se prend pas au sérieux vaut toujours mieux qu’un bon film signé par un tâcheron.

Soutenez Critikat

Critikat est une revue de cinéma associative dont les rédacteurs et rédactrices sont bénévoles.
Si elle est (et restera) entièrement gratuite, sa production a un coût : votre soutien est précieux pour garantir sa pérennité et son développement (site Internet, vidéos, podcasts...).
N'hésitez pas à nous soutenir mensuellement si vous le pouvez !

Faire un don

Ray Lawrence, Romain Le Vern

Réagir