New York, vue du dessus. Le quadrillage de la ville est d’emblée confronté à un vecteur rectiligne, John Wick, occupé à poursuivre ses proies en semant la terreur dans la rue. Rien en effet n’arrête le personnage, et jusqu’au délire, le film fait de son héros un être quasi surhumain, capable de surmonter n’importe quelle situation (outre sa maîtrise des armes et du combat, il parle russe, chinois, anglais, espagnol, italien, et même la langue des signes). Dans cet univers régi par des codes de truands — le monde entier semble en effet dirigé par une grande multinationale mafieuse, l’hôtel Continental (avec à sa tête un malfrat nommé Winston), qui a su s’implanter partout — inutile cependant de déceler dans cet ordre de l’ombre une quelconque théorie du complot paranoïaque à la James Bond Spectre, le film étant bien plus occupé à filmer son personnage principal traverser quasiment sans pause ce quadrillage et cette toile d’araignée.
La mort aux trousses
La presse a volontiers comparé le premier John Wick aux films de John Woo à ses heures glorieuses, de par la chorégraphie maîtrisée des scènes d’action. Pourtant, même si le spectacle était parfois plaisant, la redondance de la tournure des combats et des gunfights de ce second épisode laisse penser que John Wick est plutôt un « John Woo » essoré, sans voltige ni bullet time, dont l’action a été tamisée pour atteindre l’efficacité — efficacité absolue de son personnage, qui enchaîne les meurtres et les affrontements au gré de plans-séquences, avec une facilité insolente dans l’exécution, comme si les obstacles n’existaient pas ; comme si rien n’existait, en réalité, et ce sentiment de faux est renforcé par les personnages caricaturaux et les situations extravagantes. Avec ses plans-séquences, le film est exemplaire (au sens d’exemple, pas au sens d’autorité esthétique) dans la suppression du contrechamp, obnubilé par l’itinéraire de son personnage, au point d’en oublier de le confronter à une véritable adversité. Rien ne lui arrive à la cheville, et John Wick (le film comme le personnage) est une caricature de caricature : il n’évoque pas tant les films de John Woo ou de McTiernan et leur magnifique gestion de l’espace-temps, que leurs héritiers dégénérés, les films de Seagal, Van Damme et Norris.
Dans son mouvement rectiligne et son besoin d’action, le film ne s’embarrasse même plus de la vraisemblance, au point de générer des McGuffin à chaque fois toujours plus absurdes (la vengeance du chien dans le premier épisode, la vengeance de la victime que Wick a lui-même éliminée dans celui-ci). Même les espaces publics ne répondent que par intermittence aux règles narratives (action-réaction, coups de feu-panique), et lors de la séquence de l’affrontement dans le métro, personne ne semble réellement s’émouvoir de cette effusion de sang. Seules les règles « chevaleresques » des truands sont respectées (« tu ne tueras point dans un établissement Continental », « tu honoreras ta dette de sang »). La scène finale vient d’ailleurs remettre en cause toute la géographie humaine à laquelle nous venons d’assister : Winston donne un ordre, et la foule se fige puis regarde vers John Wick, sidéré par l’étendue de la toile et du piège. Alors que l’équipe du film ne semblait pas préoccupée par la gestion des figurants, ce petit twist somme toute astucieux transforme ces figures décoratives en silhouettes, passant ainsi de l’arrière-plan au premier plan.
John Wick Facts
C’est ce twist qui permet de constater que le film se prenait sûrement au sérieux dans ses intentions esthétiques et dans sa débauche d’énergie. Après tout, les personnages sont si caricaturaux, les dialogues si ridicules et les prétextes si absurdes que l’on ne peut croire à un premier degré volontaire. Jamais d’ailleurs John Wick 2 ne répond à l’appel du postmoderne, en citant explicitement ses références et ainsi imposant une distance diégétique. Le film pioche au contraire dans sa propre mythologie — par exemple, dans l’épisode 1, une anecdote relatée d’un triple meurtre que John Wick a commis avec un crayon, surréalisme chuck-norrissien que ce second opus met en scène lors d’une séquence.
S’en remettant à lui-même, le film va jusqu’au bout dans son étroitesse et son dynamisme vide. Et si Keanu Reeves est définitivement l’un des acteurs les plus lisses et mono-expressifs de l’histoire du blockbuster, sa figure d’icône de Matrix justifie que ce soit son corps qui défie ici les lois de l’affrontement. Sa rencontre avec Laurence Fishburne, guest star de John Wick 2, en est d’ailleurs le point d’orgue. Là où Matrix fut le tournant de son époque cinématographique en justifiant son action spectaculaire par un monde digitalisé, prétexte à une métaphore du vide — en tous les sens du terme (d’où peut-être le choix de Keanu) — cette saga en est une énième mise en application dans le « réel », sans avatar numérique, et pourtant sans possibilité d’ancrage réaliste tant l’action atteint un niveau de surenchère délirant. John Wick 2, c’est du direct-to-DVD qui a pu se propulser en salles grâce à sa star, son budget conséquent et ses chorégraphies. Inutile donc d’en attendre plus.