La discrétion du cinéma d’Éric Pauwels, le plus rouchien des Belges, n’a d’égale que sa grandeur. Bien que la « trilogie de la cabane », au centre de laquelle se situe Les films rêvés, ait eu droit à une édition DVD chez Potemkine, le cinéaste n’a encore jamais trouvé les honneurs des salles françaises. Pour l’instant, elles sont de toute façon fermées, et c’est sur le site de Mediapart que l’on peut voir pendant trois mois (si l’on est abonné) Journal de septembre.
Le cinéma de Pauwels fait penser au son réverbéré d’un piano usé et poussiéreux, porteur de souvenirs dans sa résonance, et d’une mélancolie insondable dans sa fragilité. Parmi les grands documentaristes à la première personne, Pauwels est assurément un cousin de Cavalier. Il partage avec le filmeur français un œil aiguisé pour la recherche de la merveille, une certaine façon de s’extasier devant les choses (objets, peintures, paysages, gestes) et de trouver les mots, en off, ou ici à l’écrit, pour transmettre sa félicité. Le format du journal, et des jours qui passent comme autant de chapitres, permet ici à Pauwels un éparpillement fabuleux. Au fil de son agenda, dont on ne sait s’il a été spécialement rempli pour le film ou non (la réponse se trouvant sûrement dans un entre-deux), il fait ou refait le portrait d’amis, fouille dans son océan d’archives, retrouve des objets, travaille avec des étudiants sur des citations, observe un nid d’araignées devant sa porte… Chaque journée se transforme en petit film incongru où, toujours ou presque, Pauwels capte quelque chose de beau, de drôle, ou simplement de vivant. S’il est un cinéaste qui doute, modifiant sa méthode à chaque film, quitte à parfois donner l’impression de tâtonner, une chose est sûre : peu de filmographies peuvent prétendre opérer un lien sensible aussi fort entre le filmeur et le filmé. Quand il filme par exemple le visage d’un ami (ici, Olivier, ou bien Walter), qui lui sourit timidement, il semble filmer l’amitié même, son évidence. Ses bricolages, surimpressions, télescopages de souvenirs sur des sons du présent, observations poétiques inscrites à même l’image, ne sont jamais des afféteries mais font au contraire preuve d’une intelligence de montage et d’une sensibilité uniques. Le 18 septembre, parmi une collection d’affichettes d’animaux égarés, il y a celle d’une perruche : le mot « perdu » a été barré par un passant, remplacé par « libéré ». C’est un fragment drôle et triste, « a brief glimpse of beauty » comme disait Mekas, que le cinéaste attrape l’air de rien, et dont l’esprit parcourt le film, entre perdition et libération. Et parce que le film prolonge le mois de septembre dans un temps irréel, parce qu’il sait si bien séparer l’image et le son (notamment lors du très beau portrait d’une preneuse de son), enfin parce qu’il cite directement Godard à propos de Dostoïevski, finissons sur cette phrase du dernier chapitre des Histoire(s) du Cinéma, qui semble avoir été écrite pour Pauwels : « le cinéma n’est pas à l’abri du temps, il est l’abri du temps ».