Même s’il a toujours revendiqué une préférence pour les drames romantiques, Hideo Nakata n’en demeure pas moins à l’origine du renouveau du cinéma fantastique nippon pour avoir commis Ringu et Dark Water, brillantes adaptations de deux romans de Koji Suzuki. Avec son dernier Kaidan, il signe un vrai mélodrame horrifique où la neige, symbole d’amour, remplace la pluie diluvienne, symbole de mélancolie dans ses autres films.
Ceux qui ont apprécié la maturité de son précédent The Ring 2 seront ravis de constater que Nakata a reproduit les mêmes miracles en optant pour une intrigue narrée au premier degré, sans cynisme, avec beaucoup de naïveté. Le cinéaste Hideo Nakata démontre une nouvelle fois que les effets spéciaux numériques ne servent strictement à rien pour amplifier la puissance évocatrice et picturale d’une œuvre fantasmagorique. Si ce n’est à créer un décalage surréaliste renforcé par des images grotesques, presque inquiétantes. La leçon est toujours bonne à prendre : si vous n’y croyez pas, c’est que vous avez perdu toute capacité à croire en l’extraordinaire. Sans en avoir l’air, Nakata récite Shyamalan qui, un an auparavant, hurlait silencieusement la même rengaine dans la désenchantée Jeune Fille de l’eau – peut-être le film le plus touchant du cinéaste mystique. À ce propos, il est amusant de constater que Shyamalan et Nakata possèdent plus d’un point commun : succès culte qui rompt avec la dictature de l’horreur explicite ; difficulté d’imposer ses désirs de cinéma « naturaliste » dans un système aseptisé ; volonté de briser ses propres conventions ; capacité de conteur ; amour du merveilleux ; refus du cynisme ; maestria visuelle. Dans Kaidan, la puissance illustrative se suffit à elle-même. Elle est par ailleurs redevable au chef-opérateur Junichirô Hayashi.
Dès les premières images, Nakata impose le label Shochiku pour introduire un long pré-générique où un homme raconte une malédiction ancestrale et les conséquences qu’elle a provoquées. D’emblée, il assure une fidélité aux figures du genre. Le contenu visuel qu’il déploie est extrêmement soigné et sobre. La seule différence notable, c’est qu’il a poussé ses acteurs masculins à se raser les cheveux pour de vrai afin d’éviter les postiches risibles des films d’époque. Le hautement référentiel Kaidan puise ses sources d’inspiration à la fois dans la littérature (Enchô Sanyûtei) et le cinéma (Nobuo Nakagawa, son ombre tutélaire de toujours – il a visionné plusieurs fois Tokaido Yotsuya Kaidan pendant le tournage de Ringu). Contrairement à l’opus de Shimizu (voir Réincarnation, sorti la semaine dernière), le fantôme ne sert pas à augmenter la pression horrifique mais à incarner une forme de culpabilité proche de celle de Dark Water. Ironiquement, on peut s’amuser de cet acharnement qui consiste à nous faire croire que le personnage masculin arrive par son simple physique à faire tomber toutes les femmes qu’il croise sur son chemin comme des mouches. Une manière comme une autre de rappeler que nous ne sommes pas dans le domaine du réalisme mais de la fable.
À travers ce récit très classique, Nakata crée un sens aigu de l’atmosphère et une identité visuelle très forte en se basant notamment sur les restes de sa cinéphilie. Pour sonder les pulsions érotiques de ses personnages (essentiellement dans la première partie, très sensuelle), il s’est souvenu des règles de Nagisa Ôshima où la pluie et le parapluie sont des motifs quasi-aphrodisiaques. Sa sensibilité pour dépeindre les vacillements intérieurs de ses personnages vient de sa découverte de Lettre d’une inconnue, de Max Ophuls, qui reste l’un de ses films de chevet. Il l’a découvert, étudiant, et en conserve un souvenir tellement ému qu’il confesse l’avoir vu quinze fois dans sa vie dont sept fois en une semaine. En revanche, sa prédilection pour les fantômes qui surgissent de l’eau renvoie ouvertement aux Contes de la lune vague, de Mizoguchi, lui aussi fréquemment cité chez Nakata. Mais au-delà des indices cinéphiles, le film vit. Debout. Tout seul, comme un grand. À chaque instant de Kaidan, tout est clair comme de l’eau de roche et beau comme une aquarelle. Sans parler du plan final, d’une poésie à tomber. Au lieu donc d’avoir les chocottes, le spectateur s’esbaudit devant un spectacle old school, surnaturel et serein, mélancolique et capiteux, qui renoue avec un esprit de cinéma oublié et rassure accessoirement quant aux capacités du réalisateur à rebondir avec tact, passion et intelligence. Des denrées trop rares aujourd’hui.