Adapté d’une nouvelle de Philip K. Dick (décidément une vraie banque d’idées pour le cinéma américain), L’Agence met en scène un ancien candidat au Sénat qui découvre que sa vie est coordonnée par une étrange agence, manipulant à l’envi les destins de l’humanité. Entre conspirationnisme effréné, quête de liberté et romance à l’eau de rose, le film a du mal à trouver un équilibre scénaristique malgré un jeu d’engrenages malins et des trouvailles visuelles pertinentes.
Une brillante carrière politique s’ouvre devant le jeune David Norris (Matt Damon). Candidat au siège de sénateur de New York, fort de sondages le donnant gagnant, il ne faudra qu’un malheureux incident pour que tous ses espoirs volent en éclat. Le soir de sa défaite, il rencontre inopinément une charmante jeune femme, Elise (Emily Blunt), et tombe immédiatement sous son charme. La belle disparaît, sans laisser ni nom, ni adresse. Le hasard faisant bien les choses, il la croise quelques mois plus tard et décide cette fois-ci de ne plus la perdre des yeux. Mais des hommes veillent à ce que ce désir soit contrecarré.
Après une séquence d’ouverture fortement ancrée dans la réalité où la candidature de Norris est vue à travers un melting-pot d’images médiatiques (les apparitions de Jon Stewart le journaliste humoriste, Michael Bloomberg, le maire de New York entre autres), l’étrangeté fait son apparition sous la forme d’hommes chapeautés semblant tout droit sortis de Dark City. Un de ces personnages, Harry, est missionné à la filature de David. Filature d’autant plus surprenante qu’il doit par exemple lui faire rater son bus… Mais ce matin-là, David prend malgré tout son bus. Arrivé sur son lieu de travail, ses collègues sont immobiles, comme si le temps avait été figé. La porte de son bureau s’ouvre sur un immense entrepôt. Lui est alors révélée l’existence de l’agence, sorte de société secrète qui manipule le destin des hommes afin qu’ils réalisent ce que l’agence a décidé pour eux. David ne doit en aucun cas revoir Elise, considérée comme un frein à sa destinée, sous peine d’être « réajusté ». N’écoutant que son cœur, il ne suit pas les conseils précieux de l’agence, mais décide au contraire d’entamer une relation amoureuse avec la jeune femme.
La désobéissance de David va évidemment perturber le Plan préétabli et commence alors une nouvelle séquence narrative pour le film : les poursuites. Les scènes les plus intéressantes visuellement prennent place dans ce segment. En effet, la géographie new-yorkaise subit quelques belles modifications. Pour passer d’un lieu à un autre, les hommes de l’agence utilisent toutes les portes de la ville qui s’ouvrent sur des lieux incongrus. Poussez une porte dans la cinquième avenue et vous déboulez au musée d’Histoire naturelle. La sortie de secours de ce musée vous propulse en plein Central Park ou au pied de la Statue de la Liberté. Toutes les attentes inconscientes du spectateur (l’intérieur ne mène pas forcément à un lieu ouvert, un milieu urbain peut se métamorphoser en autre chose) sont donc déjouées. Cette étrangeté, cet élément perturbant la réalité, propre à l’univers de Dick permet à L’Agence de surprendre son public en lui offrant un chassé-croisé inattendu.
Malheureusement, le film qui oscille entre anticipation et fantastique décide de jouer d’une troisième corde, celle de la romance et là c’est la fausse note. L’histoire d’amour entre Elise et David apparaît comme hors propos. Sans passif suffisamment implanté, cette amourette sonne creux et fausse et les efforts incommensurables de David à la faire survivre alourdissent progressivement le film, jusqu’à un happy-end désastreux.
L’Agence pèche ainsi par excès de gourmandise. À hésiter à choisir un style de film et à s’y tenir, le réalisateur noie ses bonnes intentions, pourtant présentes au début, dans un fatras sentimental qui embourbe les questionnements qui auraient pu émerger. L’homme est-il libre de ses choix ? On finit par n’en avoir rien à faire quand on voit les choix calamiteux du personnage de Matt Damon. Peut-être aurait-il mieux valu qu’il reste prisonnier du plan, ou qu’il cherche à s’en défaire en défiant l’autorité quasi-divine de l’agence pour lui-même et non pour une bluette peu crédible. La liberté à ce prix est un gâchis.