Alors que l’autorité policière l’a déjà condamné moralement, l’antiquaire Alfredo Martelli, accusé du meurtre de son ancienne maîtresse, revient pour lui-même sur les événements marquants de son passé. Premier film d’Elio Petri, écrit avec Tonino Guerra et réalisé un an avant Les Jours comptés, L’Assassin se présente comme une enquête psychologique sur un citoyen qui concentre sur lui tous les soupçons.
« En Italie et partout dans le monde, du moment que vous êtes face à l’autorité, vous êtes coupable. » C’est ainsi qu’Elio Petri définit le projet de L’Assassin, première de ses réalisations en 1961. Alfredo Martelli est-il coupable du crime dont on l’accuse ? Est-il l’assassin de la très riche Adalgisa De Matteis (Micheline Presle), son ancienne maîtresse ? « Je suis objectif », affirme le commissaire Palumbo à son suspect pour le rassurer. Partant du jour de l’arrestation de Martelli, le film se construit tout à la fois comme l’enquête policière à la recherche de faits et de preuves matérielles, et sur les flash-backs totalement subjectifs de l’accusé, qui dévoilent que, si l’on ne sait pas s’il est l’auteur du meurtre, il n’en est pas moins coupable de nombreux méfaits. Pour montrer la réalité complexe, composite de la liberté humaine en l’opposant au jugement imposé par le carcan de la loi à la liberté, Petri se sert d’une opposition entre les décors étouffants du commissariat ou de la prison et l’étendue des espaces romains. Depuis son grand appartement, ou dans le motel de la dernière scène, Martelli est filmé dans des intérieurs qui permettent une grande profondeur de champ sur un vaste décor. Les cadres très soigneusement composés par Carlo Di Palma insistent non seulement sur le rapport entre le personnage et le décor qu’il occupe, mais aussi sur la nature multiple de l’homme, fréquemment dédoublé dans des miroirs.
En confrontant la personnalité complexe de son personnage à la dialectique implacable du coupable ou non coupable de la loi, Petri scrute l’esprit d’un être conscient d’avoir menti sur son titre, d’avoir falsifié d’ « authentiques » tableaux de maîtres, d’avoir trompé amantes, clients comme associés. Certes, il existe un vrai sentiment de classe chez le jeune homme de la campagne prêt à toutes les compromissions pour réussir et quitter son milieu. Mais Petri n’adopte pas encore le parti social, voire politique qui travaillera le reste de son œuvre. La rigidité de la vérité policière représente un ordre social universel s’opposant aux méandres de l’âme humaine, mais ne stigmatise pas les pratiques particulières de l’Italie de 1960. L’Assassin apparaît finalement comme l’envers des Jours comptés, réalisé après, mais écrit avant avec le même scénariste Tonino Guerra, et qui raconte la plongée dans la société italienne d’un homme qui, ne voulant plus travailler par peur d’en mourir, part à la rencontre de tous les modes de vie alternatifs qu’offre la vie d’alors. Les deux personnages ont les mêmes origines paysannes, la même peur de la mort soudaine (les deux voient un inconnu mourir sous leurs yeux, dans la rue) ; les deux, face à un événement déterminant, passent par une volonté de table rase, mais face au même dilemme existentiel, Cesare (interprété par Salvo Randone, aussi crédible en plombier nihiliste qu’en inspecteur revenu de tout dans L’Assassin), cherchait des réponses dans la remise en cause de l’ordre social, tandis que Martelli, lui, se pose, sur le mode métaphysique la question de sa propre place dans le décor.