Malgré la force politique de son sujet et sa notoriété acquise aux Balkans et dans les festivals, l’engouement autour de La Parade laisse quand même perplexe. Évoquer la première Gay Pride de Belgrade en utilisant la comédie était, certes, une bonne idée pour fédérer le grand public. Mais encore eût-il fallu éviter les poncifs et l’humour facile.
Après un malheureux concours de circonstances, un parrain macho de la pègre de Belgrade se voit contraint d’assurer la sécurité de la première Gay Pride du pays. Accompagné d’un vétérinaire homosexuel, il part à la recherche d’anciens mercenaires pour l’aider dans sa mission.
Parler de La Parade pose un vrai cas de conscience. Peut-on s’autoriser à émettre des réserves envers une œuvre dont l’existence même a une portée politique et humaniste en Serbie ? À titre indicatif, après une tentative avortée en 2001, il a fallu attendre 2011 pour qu’une première Gay Pride ait lieu à Belgrade, et ce fut sans compter la présence massive des policiers pour contrer les hooligans. Le réalisateur voit, lui-même, son film comme un « devoir de citoyen » dans un pays où l’homophobie reste toujours virulente. L’ambition de La Parade est donc à la fois militante et pédagogique, d’où le recours à la comédie, genre qui permet de toucher le grand public. Le pari est en partie gagné dans la mesure où le film, comme une revanche face aux difficultés rencontrées lors du tournage, a été l’un des succès surprise du box-office aux Balkans. Il a ainsi ouvert le débat et a médiatisé, grâce à sa belle exposition dans de nombreux festivals internationaux, la manière dont les homosexuels sont stigmatisés en Serbie. Mais d’un point de vue purement formel, c’est une autre sinécure.
Le principal point noir de La Parade est son scénario alambiqué et fourre-tout qui fait la part belle aux stéréotypes et aux clichés. Trop de pistes sont lancées et le film donne l’impression de raccrocher avec difficulté tous ses wagons. Parler à la fois d’homophobie mais aussi du machisme ou encore de problématiques liées à l’histoire du pays (via la rencontre entre les militaires serbes, musulmans et bosniaques) était sûrement trop ambitieux. Les ressorts comiques ne brillent pas non plus par leur finesse. Certes, nous avons eu, nous aussi, nos Cage aux folles et autres Pédale douce. Mais même en prenant en compte les décalages culturels et le fait que la Serbie en est encore à son premier film gay commercial, la caricature dont sont victimes les personnages homosexuels est à deux doigts de desservir le sujet. Hystériques, ce sont des Zaza Napoli nouvelle génération, réduits à rouler dans des voitures roses, à écouter de l’opéra ou à boire en levant le petit doigt. Les traits finissent par être grossiers, l’humour peut subtil et la mise en scène approximative n’aide pas à rehausser le ton. La seconde partie du film rectifie un peu le tir. Le face-à-face entre l’homosexuel flamboyant et le gros dur obligé de revoir certains de ses préjugés donne lieu à quelques scènes qui prêtent à sourire.
De fait, le contraste avec le final, seul moment convaincant de La Parade, accentue d’autant plus ces faiblesses. Dans cette dernière séquence, nous assistons à la confrontation entre les hooligans, les membres de la Gay Pride et les hétéros désormais acquis à la cause des militants. Sans qu’on s’y attende, cette scène frappe par sa justesse, la violence de ses images, l’émotion qu’elle suscite et les questions qu’elle provoque. Devant ce témoignage terrible d’une homophobie bien ancrée en Serbie, la raison d’être (voire la nécessité) du film prend tout d’un coup réellement sens. Et on ne peut que regretter que la marche pour arriver à ce constat ait été aussi laborieuse.