Difficile de faire la fine bouche devant un film né d’une aussi louable ambition : rendre hommage aux victimes françaises de l’un des plus grands crimes contre l’humanité de tous les temps, et témoigner de ce drame auprès des nouvelles générations pour contribuer à ce qu’il ne puisse jamais plus se reproduire. Difficile, donc… mais pas impossible, car la réalisatrice Roselyne Bosch et son mari, le producteur Ilan Goldman, arrivent après de nombreux autres auteurs qui ont su évoquer cette période et ces événements avec infiniment plus de talent et de puissance.
Juin 1942. Joseph Weismann, petit Parisien de onze ans, porte pour la première fois l’étoile jaune – ce qui ne l’empêche pas de faire les quatre cent coups avec ses amis dans les rues de Montmartre. Autour de lui, les adultes sont partagés entre l’espoir et l’inquiétude : Pétain livrera-t-il les Juifs de France à Hitler ? Le 16 juillet, au petit matin, la famille Weismann est raflée par la police française, et conduite au Vélodrome d’Hiver. 13 000 juifs parisiens y sont parqués, dans des conditions extrêmement dures, en attendant d’être déportés vers des camps de transit dans le Loiret, puis vers Auschwitz dont beaucoup ne reviendront pas.
Il devient presque difficile de trouver un film récent qui ne traite pas plus ou moins directement de la Seconde Guerre mondiale. Quand ils ne réécrivent pas entièrement l’Histoire à la manière de Quentin Tarantino, leurs réalisateurs entendent tous témoigner, qui du sort réservé par les Nazis aux Tziganes (Liberté) ou aux homosexuels (L’Arbre et la forêt), qui de la résistance héroïque d’une poignée de travailleurs immigrés dans la France occupée (L’Armée du crime), qui du sentiment de culpabilité des soldats américains venus libérer, bien trop tardivement, les derniers rescapés des camps de la mort (Shutter Island). Cette volonté de couvrir tous les aspects d’une période aussi chargée en drames humains que riche en leçons de courage est bien sûr aussi compréhensible qu’estimable, mais elle amène à s’interroger sur la nouvelle fonction sociale du cinéma. Le film semble de moins en moins perçu comme une œuvre d’art, ou l’expression d’une pensée ou d’une sensibilité, mais plutôt comme un instrument d’éducation civique et d’enseignement de l’Histoire qui viendrait se substituer à une école républicaine peinant à transmettre aux citoyens une mémoire et des valeurs communes. Cette évolution ne va pas sans risques : confusion entre le réel et la fiction, entre la raison et l’émotion, embrigadement du cinéma au nom du devoir de mémoire, voire mythologisation du passé.
Bien sûr, le didactisme n’est pas nécessairement incompatible avec une réflexion esthétique et cinématographique ; ainsi, le récent Liberté est une œuvre magnifique, qui ne résume pas à son sujet, mais manifeste avant tout des qualités formelles et scénaristiques enthousiasmantes. Force est hélas de constater que les films sur la Seconde Guerre mondiale sont le plus souvent plombés par la pesanteur de la reconstitution, et empêtrés dans une certaine raideur démonstrative. Même un cinéaste aussi talentueux et aguerri que Robert Guédiguian est tombé dans les pièges du « vouloir-dire » avec son Armée du crime. Roselyne Bosch, quant à elle, n’avait jusqu’à ce jour signé qu’un seul film (un Animal sorti en 2006 et qui n’a pas marqué les mémoires), et écrit quelques scénarios, dont celui du médiocre 1492 : Christophe Colomb de Ridley Scott ; il paraissait donc peu probable que cette réalisatrice débutante, s’attachant à un projet aussi ample et ambitieux, parvienne à éviter les écueils inhérents au genre.
Sans surprise, elle n’en évite aucun. Au moins ne cherche-t-elle pas à être originale : elle se contente d’appliquer les recettes de ses prédécesseurs, avec application mais sans une once de personnalité. Du coup, chaque scène de cette Rafle donne l’impression d’avoir déjà été vue mille fois, et ne semble renvoyer qu’à d’autres images, et non au drame historique qu’elles tentent de restituer. Certes, le film, appuyé par une logistique imposante (décors, costumes, figuration), est indéniablement « bien fait », selon les critères de la nouvelle qualité française… Mais il est surtout terriblement scolaire : tout est à sa place, rien ne dépasse, rien ne vit ni ne vibre, les violons jouent au moment où ils doivent jouer, les stars du film (Mélanie Laurent, Gad Elmaleh et un Jean Reno toujours aussi monoexpressif) jouent leur partition avec une application un peu laborieuse, tandis qu’une brochette d’acteurs connus (Sylvie Testud, Thierry Frémont, Catherine Allégret ou encore Anne Brochet) vient faire de la figuration dans des rôles de victimes ou de héros ordinaires. La construction elle-même du film est binaire et prévisible : après l’insouciance et les scènes de bonheur domestique – terriblement clichés –, survient la rafle, point de départ d’une lente descente aux enfers. La seule scène un tant soit peu surprenante est, paradoxalement, la plus attendue : appuyée par une musique de Philip Glass, la première vision d’un Vél d’Hiv’ entièrement reconstruit est un moment réellement impressionnant – mais cela relève moins de choix de mise en scène que du savoir-faire d’une équipe technique disposant d’un budget conséquent.
Dans le dossier de presse, Roselyne Bosch confesse s’être posé beaucoup de questions en amont de son projet, et leur avoir trouvé, comme seule réponse, la « sincérité ». Hélas, le problème de la représentabilité d’un tel drame aurait sans doute mérité une réflexion un tantinet plus poussée, et le film aurait gagné à proposer des solutions narratives et esthétiques en renfort des bonnes intentions. Ainsi, s’il est compréhensible que la réalisatrice-scénariste ait tenu à s’attarder sur le sort poignant des enfants, son film se retrouve tout de même guetté par le syndrome La vie est belle : les bambins ont tous des bouilles adorables, en particulier le gamin « Nono », petite star du film insupportable à force d’être mignon ; le choix de lui épargner l’horreur et de le faire réapparaître alors qu’on le pensait disparu à Auschwitz rappelle la fin odieuse du pénible film de Roberto Benigni. Vouloir ainsi rassurer son public en lui servant sa dose d’attendrissement et d’espoir, c’est un choix plutôt surprenant et pas forcément bienvenu étant donné le sujet.
Roselyne Bosch est donc aussi maladroite que « sincère », par exemple lorsqu’elle use d’images bien trop propres et léchées pour montrer l’horreur des camps. Difficile en effet d’évoquer la promiscuité, le manque d’hygiène, la faim et le désespoir absolu à l’aide d’une esthétique amélipoulinesque. Là encore, la comparaison avec les plans sobres, fugaces et terriblement marquants de Liberté est écrasante. De même, en reconstituant des dialogues entre un faux Laval et un faux Pétain, et entre un faux Himmler et un faux Hitler, le film commet un faux-pas impardonnable. Mal jouées, mal fichues, ces scènes sonnent terriblement faux – on en vient à se dire que ce n’est pas l’extermination elle-même qui est irreprésentable, mais plutôt les discussions et les tractations politiques qui la planifient et l’organisent ! Le film ne se relève pas des scènes avec Hitler, qui flirtent avec le grotesque – il faut voir cet acteur piteusement grimé s’apitoyer sur le sort des animaux de boucherie…
Reconnaissons tout de même au film de Roselyne Bosch, par-delà ses insuffisances béantes et ses défauts embarrassants, une qualité somme toute précieuse : il est bien documenté. S’appuyant sur le travail de Serge Klarsfeld et sur les témoignages des rares survivants, La Rafle développe une vision assez saine de la France occupée, loin de tout manichéisme : les Français ne sont pas tous présentés comme des Justes, mais pas non plus comme d’infâmes collabos. Si le film présente le panel habituel d’antisémites haineux (comme cette boulangère caricaturalement antipathique), et de policiers lâches et veules au service d’officiers allemands sadiques et glaçants, il met également en scène une foule de « résistants » ordinaires, de braves gens que leur conscience amène à secourir leur prochain, à cacher les enfants de familles déportées – rappelons que la France fut le pays occupé où le plus d’enfants juifs furent ainsi sauvés de la barbarie nazie. C’est finalement le seul mérite de ce film raté, que de ne pas totalement faillir à la mission pédagogique qu’il s’était fixé.