Ours d’or de la 57ème édition de la Berlinale, Le Mariage de Tuya, troisième long métrage du réalisateur Wang Quan’an, se présente à la fois comme un film personnel (la mère du réalisateur a vécu au même endroit que Tuya) et universel (dépeindre la situation des bergers chinois menacés par l’expansion industrielle et l’urbanisation qui cherche à les chasser). Ceux qui aiment les voyages dépaysants, les festins rutilants et les cinéastes qui filment avec amour leur femme-actrice seront servis.
L’histoire ? Le vieux mari de la bergère Tuya se trouve dans l’incapacité de subvenir à ses besoins à la suite d’un accident, la belle doit convoler d’urgence avec un autre époux. Or elle se trouve par ailleurs affublée de deux enfants et d’une centaine de moutons qui supposent un entretien assez lourd pour l’heureux élu, par ailleurs chargé en sus de nourrir le premier mari réduit à l’incapacité. Mû par l’urgence pour témoigner d’un mode de vie en déclin (les bergers étant menacés en Mongolie intérieure), le cinéaste a pris des risques. La situation économique est suffisamment désastreuse pour donner à ce Mariage de Tuya une valeur ethnographique. Au-delà du portrait à la fois femme, mère et objet de convoitise, il y a quelque chose de shakespearien dans la quête de Tuya partagée entre les habitudes (femme et mère de famille) et la nouveauté (ronde des prétendants qui viennent tous conquérir son cœur). Ses choix sont cornéliens. Sa résignation face aux tentations provoque un effet de miroir et exacerbe la jalousie de ceux qui tombent amoureux d’elle. Entre la complexité des sentiments et la rudesse du quotidien rural, Wang Quan’an a signé un beau portrait de femme téméraire qui ne cherche pas à embellir pour rester au plus près des soubresauts narratifs.
La grande audace du cinéaste réside précisément dans l’art du décalage qui propose un argument vaudevillesque avec un traitement aride. Ne pas conclure que Le Mariage de Tuya soit un précipité neurasthénique. Au contraire : on rit souvent − l’humour, antidote contre la grise mine. C’est beau, léger, minimaliste, dépaysant, touchant. Plein d’adjectifs de ce genre. Mais, malgré deux trois prises de risque, l’ensemble demeure éminemment classique dans sa progression dramatique et semble par intermittences manquer d’ambition cinématographique. On est parfaitement conscient de découvrir là un long métrage digne d’éloges mais on en sort incapable de savoir si le réalisateur saura habilement rebondir après cette histoire très personnelle. C’est aussi un défi qu’il nous lance pour se surpasser. Par souci de réalisme, Le Mariage de Tuya oscille entre documentaire et fiction sans choisir de camp et Wang Quan’an s’en tire mieux dans le premier registre et moins dans le second d’autant qu’il s’abîme dans les métaphores maladroites (les explosifs, symboles d’une modernité assassine). Heureusement, ses qualités esthétiques (sens du cadre et de la composition des plans, jeu des couleurs, sensualité des scènes de dîner, qualité d’épure dans le montage) montrent que Wang Quan’an possède un certain talent formel. Évitant le pathos, le résultat se situant quelque part entre L’Histoire du chameau qui pleure et Le Chien jaune de Mongolie, tient la route grâce à l’interprétation courageuse de son interprète principale Yu Nan (prochainement dans Speed Racer, des Wachowski Bros. Un rôle en or pour la femme du cinéaste, entourée d’acteurs non professionnels. Une déclaration d’amour enflammée, écrite avec le cœur, où la coutume triomphe du progrès. Où la sincérité constitue la principale qualité. À une heure où on aime nous proposer de la verroterie sans âme en bobine, il serait sans doute bon d’écouter son auteur.