Tendance lourde du cinéma américain, l’adaptation de vieilles séries télévisées au grand écran est un concept marketing qui a su trouver une niche dans l’inspiration défaillante de producteurs français prêts à tout pour remplir les tiroirs-caisses. Tant pis pour la qualité : filmées à la va-vite, les versions ciné de Belphégor, Vidocq, Les Chevaliers du ciel ou Arsène Lupin se sont avérées catastrophiques. Pour apporter un souffle nouveau dans un contexte ultra-codifié et connu de tous, à l’instar d’un Brian De Palma ou d’un John Woo avec la série des Mission : Impossible, encore faut-il posséder un univers… Mais en France, le croisement des genres (cinéma d’auteur et culture populaire) fait encore peur, chacun préférant rester dans son coin quand précisément la créativité de l’un et la légitimité de l’autre s’en trouveraient considérablement enrichies.
Cette adaptation des Brigades du Tigre n’échappe pas à la règle. De la musique de son générique jusqu’à sa galerie de personnages légendaires, le feuilleton a su captiver la France des années 1970, jonglant avec habileté entre intrigues policières (les aventures des Brigades Mobiles dans le Paris du début du siècle) et reconstitution historique (la « Belle Époque »). Comment moderniser une série dite « culte » mais formellement poussiéreuse sans en trahir la saveur et l’esprit ? À première vue, Jérôme Cornuau et son producteur Manuel Munz n’ont pas pris beaucoup de risques. Casting « haut de gamme » composé de vedettes montantes (Clovis Cornillac, Diane Kruger), de valeurs sûres (Édouard Baer, Jacques Gamblin, Gérard Jugnot) et de comédiens en vacances de cinéma d’auteur (Olivier Gourmet); affiches et logos au graphisme tendance Incorruptibles du nouveau millénaire ; bande-annonce chargée en explosifs : la modernisation high-tech et l’hybridation de l’ancien et du moderne semblent être à l’œuvre dans cet énième produit marketing calibré pour les masses.
Dépouillé de son emballage, le film est pourtant moins débile qu’il n’y paraît. On s’attendait à un Mystères de l’Ouest (l’une des pires adaptations de série télé jamais produites) version frenchie, on se retrouve avec le fruit d’une ambition assez courageuse, même si le résultat final est loin d’être probant. Première surprise : Jérôme Cornuau, pourtant l’un des plus sérieux candidats au titre de pire réalisateur de l’histoire du cinéma français (sa filmographie compte quelques perles comme Bouge ! et Folle d’elle), se révèle un technicien plutôt efficace, tant dans la minutie de la reconstitution historique que dans sa maîtrise du cadrage et du découpage des scènes d’action (l’attaque de la planque de la bande à Bonnot est particulièrement réussie). Cornuau est en revanche un piètre directeur d’acteurs : si Gamblin s’en sort plutôt bien grâce à ses acquis, on ne peut pas en dire autant du pauvre Clovis Cornillac qui semble prendre son personnage de héros justicier tellement au sérieux qu’on se demande parfois si son jeu monolithique n’est pas à prendre au second degré. Édouard Baer rame dans un contre-emploi trop raide pour lui et même Olivier Gourmet se voit contraint de cabotiner à outrance pour remplir le quota du bon gros rigolo.
La deuxième surprise – et ce n’est pas la moindre – vient de la volonté de Cornuau et de ses scénaristes, Xavier Dorison et Fabien Nury, d’inscrire leur film dans un contexte historique très défini et de ne pas se contenter d’en faire la toile de fond de l’histoire, mais son moteur. La Belle Époque, donc, mais aussi la bande à Bonnot et la Révolution russe : Les Brigades du Tigre version 2006 ne veulent pas seulement divertir les foules, elles veulent également les instruire et les faire réfléchir. On n’ira certainement pas blâmer les producteurs d’avoir des velléités pédagogiques, et encore moins de tenter d’introduire un peu de débat politique, fût-il infime, dans une superproduction de cette envergure. Hélas, le cul entre deux chaises, Cornuau ne sait que faire de sa mayonnaise dont les ingrédients visiblement goûteux ne réussissent jamais à se mélanger. Dans son rôle de princesse russe anarchiste, Diane Kruger est complètement à côté de la plaque : à l’image de tout le film, elle incarne l’impossibilité de conjuguer le glamour un peu vide qui a fait l’essentiel de sa courte carrière et un discours un tant soit peu crédible sur l’engagement, le respect des idéaux, la frontière entre le bien et le mal… Quelque chose dans cette dichotomie ne fonctionne pas, sans doute l’incapacité du réalisateur à doser savamment fond et forme, à transcender son produit pour en faire ce dont il rêvait certainement : un divertissement de genre à gros budget qui serait aussi un outil pédagogique. Malheureusement, le film ne parvient jamais à être l’un ou l’autre : plombé par ses grandes envolées lyriques sur la justice et la révolution, Les Brigades du Tigre souffre de sérieux problèmes de rythme. Sans jamais réussir à divertir ni à provoquer un quelconque débat, le produit final est une créature étrange, fruit de l’ambition un peu folle d’un réalisateur qui n’a malheureusement pas les moyens artistiques de parvenir à ses fins.