Mary, avec son rôle-titre, se présentait comme le simple portrait d’une jeune orpheline surdouée. Marc Webb prend pourtant pour acquis le fait que les capacités intellectuelles sont héréditaires (Diane, sa défunte mère, également un génie mathématiques), et préfère s’intéresser à l’entourage de son personnage principal. Le film s’attarde notamment sur le combat de Frank, son oncle, pour préserver sa garde et maintenir (un semblant) de structure familiale, et sur Diane, pourtant quasiment absente du film. Bien que simple silhouette photographique, la figure de la défunte influence pleinement les choix de tous les personnages : Frank insiste pour que Mary ait une enfance normale afin de lui éviter le mal-être de sa mère, et Mary, au contraire, souhaite poursuivre les traces intellectuelles de Diane, encouragée par sa grand-mère maternelle, Evelyn.
Ma famille d’abord
Mary multiplie les pistes scénaristiques et thématiques, au risque de s’éparpiller, puisque le réalisateur opte pour un point de vue omniscient, passant nonchalamment d’un personnage à l’autre. Malgré son manque de responsabilité et son immaturité, Frank doit assumer son rôle paternel et enseigner un certain nombre de règles à Mary, qui rencontre des problèmes de sociabilité. Consciente dès son jeune âge de son potentiel, la jeune fille n’aspire, au début du film, qu’à échapper à tout obstacle social (notamment la lenteur du programme scolaire) et familial pour accélérer son apprentissage des mathématiques. Soient deux récits parallèles, l’un sur un processus d’adaptabilité aux autres et de respect des règles, l’autre sur la volonté d’émancipation d’un destin singulier (Mary et ses dons, d’où le titre original Gifted).
Pourtant, le film se saborde lui-même en finissant par faire accepter à Mary l’ordre établi. La mise en scène de Marc Webb est plate et sans surprise, en adéquation avec la trajectoire prévisible de son personnage principal, et au seul service du scénario (et aucunement le reflet de l’esprit brillant de Mary). Non seulement le récit s’englue dans les conventions du divertissement hollywoodien (un conflit pour amplifier les caractères de chacun), mais la narration ne fait l’économie d’aucun détail sur la mise en place de ses enjeux et la transparence de ses intentions — d’où l’impression de longueur du film. Le spectacle semble plutôt calibré pour accroître la teneur dramatisante, notamment dans son utilisation un peu simpliste de l’hérédité psychologique et intellectuelle (Mary qui suivrait une lignée similaire à sa mère au risque de connaître la même issue funeste).
(D)Écrire le génie
Il y a pourtant bien une scène digne d’intérêt, où le film caresse enfin l’espoir de cerner au mieux son sujet — les itinéraires intellectuels d’êtres extraordinaires. C’est-à-dire s’appliquer à ne pas décrire ce qu’ils sont au quotidien, mais observer le chemin parcouru et le passage adulte. Evelyn découvre un carton laissé par Diane, et fond alors en larmes. Durant cette séquence, la mère tient deux dimensions de sa défunte fille : son enfance résumée en plusieurs feuilles de brouillon, et sa maturation, la consécration de son travail et de ses tâtonnements. Si Evelyn ne parvient pas à retenir ses larmes, c’est par la pleine conscience de tenir dans ses mains les traces du prodige de sa fille, les témoignages de son parcours. Derrière les formules mathématiques compliquées et l’étalage un peu creux des talents de ses personnages (comprendre : voir Mary lire un imposant volume scientifique), Marc Webb parvient, en un simple gros plan sur des feuilles de brouillon, à débusquer — relativement — le génie caché derrière la façade (dans le cas de Diane, les photographies figées).
La peinture d’êtres extraordinaires est souvent, au cinéma, une tâche peu aisée (voir l’échec d’Une merveilleuse histoire du temps ou d’Imitation Game), mais Mary, de toute façon, s’évertue trop à sacrifier son énergie et son temps à ramener ces êtres singuliers dans un bien conventionnel schéma normalisé, le fameux happy-end de la famille apaisée.