L’exploration de réalités secrètes et parallèles, la frontière et la circulation entre le monde des morts et des vivants, disparition et réapparition : voici quelques constantes qui peuplent les courts de Clément Cogitore – Visités (2007), Parmi nous et Bielutine (2011). Le passage au format long ne change pas l’imaginaire du cinéaste, qui s’attache ici à l’idée d’évaporation des êtres – on pense bien sûr à ce sujet à L’Évaporation d’un homme de Shohei Imamura (1967) ainsi qu’à une bonne partie de la filmographie de Michelangelo Antonioni. Où sont ceux qui ont disparu ? Voilà une question aussi bête que vertigineuse, sur laquelle planche l’humanité depuis un bon moment. Aussi on sent combien Clément Cogitore fait de cette question un symptôme tenant dans une interrogation : qu’est-ce que fabriquent – concrètement, mentalement, spirituellement – ceux qui, exposés à la disparition, restent ?
Fantastique ésotérique
Clément Cogitore transpose ce thème dans le cadre bien particulier de la guerre, où la mort est une fidèle voisine. Antarès Bonassieu (Jérémie Renier) est à la tête d’une section cantonnée en Afghanistan, dans des confins frontaliers avec le Pakistan. Les paysages désertiques et l’écoulement du temps dans l’attente ne sont pas sans rappeler l’atmosphère du roman Le Désert des Tartares de Dino Buzzati. Sauf qu’ici le champ de vision des militaires aux aguets se peuple régulièrement de quelques présences, notamment celles des habitants du patelin voisin. Mais l’idée de présence est contredite par une mystérieuse affaire de disparition ; cela commence une nuit lorsque deux soldats s’évaporent après que l’on ait observé avec des jumelles infrarouges sur la crête en face un étrange rituel de crémation d’une brebis par les villageois.
Ces événements mettent évidemment en branle les troupes, les nerfs à l’épreuve, et la tonalité verse dans un fantastique mystérieux. La quête entêtée de Bonassieu sera dès lors de retrouver ses hommes, ceci mettant à mal aussi bien le protocole militaire que la rationalité, faisant appel à des formes de mysticisme ésotérique – la croyance et la quête des uns se confondant avec celles des autres puisque des hommes d’un seigneur de guerre local ont connu le même sort. Éventuellement une manière pour Clément Cogitore de signifier que face à l’inexpliqué (et l’inexplicable), tous les hommes partagent la même propension à fabriquer croyances et rites.
Devenir spectral
Le propos est pour le moins ambitieux – disons qu’il invite à la métaphysique –, et l’on apprécie qu’il entre en résonance avec de véritables propositions plastiques. C’est notamment le cas de l’appréhension des paysages (le tournage s’est déroulé dans le massif de l’Atlas au Maroc), d’emblée saisis comme une force tellurique propice à engloutir les hommes – et il sera question d’une caverne souterraine. Aussi le film est émaillé de plans épousant le point de vue des jumelles infrarouges, dont le régime d’image semble désigner le devenir spectral de la figure humaine – élément que l’on peut considérer comme un propos plus général sur la virtualisation des existences de nos jours. Clément Cogitore impulse aussi régulièrement un élan lyrique (au sens propre avec l’utilisation de la musique), jusqu’à des formes de transe.
Concernant la tonalité générale de la réalisation, on est quelque peu dubitatif face au choix d’une caméra très physique, qui dispose d’une présence matérielle et organique. Ce parti-pris s’avère trop littéral (nervosité, inquiétude, regard qui cherche, etc.), il aurait pu davantage convaincre s’il avait été plus dosé ou accompagné de contrepoints. Des bouffées de grandiloquence guettent régulièrement le film, y compris dans le jeu d’acteur qui ne semble pas toujours très bien ajusté selon les situations, tandis que les prestations sont aussi marquées par des formes d’hétérogénéité – mais il n’est pas impossible que cela constitue à la fois un choix de direction des comédien et de casting… Par ailleurs, une évidente conviction dans la manière d’explorer les voies de la fiction émane de Ni le ciel ni la terre, ainsi qu’un fort désir d’expérimentations visuelles et narratives. Bref, les promesses campent fièrement face aux quelques écueils.