Tout, dans Ôtez-moi d’un doute, le troisième long-métrage de Carine Tardieu (La Tête de Maman, Du vent dans mes mollets), transpire le désir d’être aimable. C’est l’essence-même du « feel good movie » : que le spectateur en ressorte léger et guilleret, délesté de la pesanteur de son quotidien, après avoir vu un film qui parle de gens comme vous et moi. L’ambition est louable et généreuse, quoiqu’un peu limitée sur le plan cinématographique. Du cinéma comme antidépresseur ? Tout dépend d’où l’on se positionne. Au casting, deux têtes d’affiche au capital sympathie indiscutable (François Damiens et Cécile de France), épaulées par de solides seconds rôles (André Wilms et Guy Marchand), servent une comédie dramatique, donc à la fois légère (sur la forme) et profonde (sur le fond). Tous les ingrédients sont là, sauf un : le style.
Puits sans fond
Ce qui fait cruellement défaut à Ôtez-moi d’un doute, c’est bien ce qui le distinguerait du tout-venant de la production audiovisuelle, ou plus précisément d’une forme de production que l’on croise régulièrement sur les chaînes de télévision : le téléfilm rassembleur, destiné à remplir les cases de première partie de soirée. Des divertissements honnêtes et bien produits, qui se contentent hélas bien souvent d’illustrer platement un scénario à grands renforts de champs-contrechamps et d’une lumière douce et confortable. Le film de Carine Tardieu obéit sagement à ce cahier des charges en évitant très soigneusement de se poser des questions qui fâchent.
La première est une question de fond. Le film repose entièrement sur un double postulat : le personnage interprété par François Damiens, dont la fille est enceinte d’un homme dont elle refuse de donner le nom, découvre que son propre père (Guy Marchand) n’est pas le sien. Il décide de retrouver son géniteur et le découvre tout près de chez lui (sous les traits d’André Wilms). Dans le même temps, il tombe amoureux d’une jeune femme (Cécile de France) avant de découvrir qu’elle est la fille de son père biologique… et pourrait donc être sa sœur. La fantaisie déployée par le scénario (quiproquos, malentendus, chausse-trappes et portes qui claquent) repose sur l’héritage de la comédie de boulevard, à laquelle il conviendrait d’insuffler du trouble, une forme d’ambiguïté pour l’élever au-delà de l’humour pantouflard qui la caractérise.
Défaut de forme
Avec un sujet pareil, Carine Tardieu aurait pu jouer avec les conventions pour faire dérailler sa comédie et l’emmener tutoyer les limites. Mais le potentiel malaise provoqué par le désir incestueux qui taraude le héros se résume à une poignée de gags polis et archi-prévisibles, qui sentent plus le pop-corn que le souffre. Plus réussies, mais moins périlleuses, les scènes qui réunissent le personnage principal et ses deux pères incarnent le versant plus mélo du film. Guy Marchand et André Wilms, parfaits de bout en bout, insufflent à leurs scènes la fragilité qui fait défaut à Damiens et emmènent Ôtez-moi d’un doute vers une mélancolie réellement émouvante. Elles offrent au film des petits moments de respiration bienvenus, au milieu d’un méli-mélo de genres qui s’entrechoquent sans jamais convaincre : humour de boulevard et mélo, donc, mais également burlesque pur (à travers un personnage de stagiaire benêt qui rappelle l’humour poids-lourd des Charlots) et comédie de mœurs poussive (toutes les scènes entre le héros et sa fille enceinte).
L’autre grand problème d’Ôtez-moi d’un doute, c’est la forme. Le patchwork narratif auquel aspire Tardieu exige un sens du rythme infaillible, une vraie finesse dans la composition des plans et une cohérence visuelle dont tout le film est dépourvu. L’alchimie évidente entre Damiens et Cécile de France est plombée par une absence totale d’idées de mise en scène : leurs efforts apparents pour élever leurs scènes communes vers la sophistication de la comédie classique hollywoodienne tombent bien souvent à plat. Ôtez-moi d’un doute vise le doux confort du succès populaire (ce qu’il sera, sans nul doute) mais de façon si schématique et paresseuse qu’il ne procure qu’une sensation d’anesthésie.