Déjà autrice de plusieurs courts métrages, oscillant entre documentaire et docu-fiction, Theresa Traore Dahlberg effectue son passage au long avec Ouaga Girls. Comme son titre le suggère bien, le film se déroule à Ouagadougou et se focalise sur un petit groupe de jeunes femmes. S’appelant Bintou, Chantale ou Dina, celles-ci suivent une formation au Centre Féminin d’Initiation et d’Apprentissage aux Métiers (CFIAM) de la ville afin de devenir mécaniciennes automobiles : une orientation professionnelle pour le moins originale, a fortiori dans une société encore largement patriarcale telle que celle du Burkina Faso. « Une femme peut faire n’importe quel métier, si elle le veut […] Nous aussi on a de la force », affirme l’une des protagonistes, exprimant avec vigueur un sentiment partagé par ses condisciples et de plus en plus répandu à travers le monde.
Si le distributeur français a choisi de sortir le film en salles au moment de la Journée internationale des femmes, il faut pourtant se garder de voir en Ouaga Girls un film-tract chargé de véhiculer un discours féministe ou un film-dossier destiné avant tout à rouler au service d’une cause. Bien sûr, la question du statut (et du rôle) de la femme dans la société tient une place centrale dans le film mais Theresa Traore Dahlberg ne l’aborde pas du tout de façon didactique – et moins encore militante. Suivant ces apprenties mécaniciennes en route vers leur avenir (que le plan final, un peu appuyé par le ralenti, laisse ouvert), en s’attachant en particulier à certaines d’entre elles, la cinéaste ne les instrumentalise aucunement. Elle ne réalise pas un film sur elles mais avec elles.
Récit d’apprentissage
Attentif et empreint de douceur, son regard se teinte parfois d’humour, notamment lors de certaines scènes en salle de classe, et accompagne les jeunes femmes au plus près, non seulement à l’intérieur du CFIAM – entre cours théoriques et exercices pratiques – mais également à l’extérieur – le temps d’un concert à l’ambiance survoltée, par exemple. Captant des paroles plus intimes lors d’entretiens avec la psychologue du centre, Theresa Traore Dahlberg observe ainsi leur vie réelle et s’approche également de leur vie rêvée : voir, en particulier, les séquences centrées sur la jeune femme qui aspire à une carrière de chanteuse, en dépit de capacités vocales à l’évidence limitées.
Au-delà de l’aspect factuel, ce qui intéresse plus profondément la cinéaste c’est de saisir le devenir en lui-même, d’enregistrer cette phase de mutation, entre angoisse et espérance, propre au sortir de l’adolescence. La (trans)formation, au sens existentiel du terme, apparaît ainsi comme le motif électif – et narratif – du film, le documentaire se doublant d’un récit d’apprentissage.
À travers ce portrait d’une bande de filles, qui n’est pas sans faire penser au film homonyme de Céline Sciamma, apparaît aussi le portrait d’un pays lui-même en pleine métamorphose, suite à la destitution en 2014 du président Blaise Compaoré (au pouvoir depuis 1987). Tourné en 2015, Ouaga Girls témoigne de cette période d’incertitude politique via des flashs infos ou des affiches électorales en vue des présidentielles et législatives de novembre 2015. Par ailleurs, se distingue en filigrane un autoportrait de la cinéaste : née en Suède, Theresa Traore Dahlberg a grandi à Ouagadougou et trouve sans doute ici une manière d’évoquer indirectement la Ouaga Girl qu’elle aussi a été.