Société parisienne d’édition et de distribution explorant – et exhumant – le patrimoine cinématographique, avec une prédilection marquée pour l’Europe de l’est et du nord, Malavida invite à redécouvrir en salles Rêves en rose du Slovaque Dušan Hanák. Moins connu que Miloš Forman, Ivan Passer, Jiří Menzel et Věra Chytilová (tous tchèques), Dušan Hanák – aujourd’hui âgé de 79 ans – compte pourtant parmi les principaux contributeurs de la Nouvelle vague tchécoslovaque. Formé de 1960 à 1965 à la FAMU, l’école de cinéma de Prague, il démarre sa carrière en réalisant des courts métrages puis passe au format long à partir de 1968, année ô combien mouvementée, marquée en Tchécoslovaquie par l’invasion des troupes soviétiques qui met en août un terme brutal au Printemps de Prague. Il signe d’abord un long métrage de fiction, 322 (1969), puis un long métrage documentaire, Images du vieux monde (1972), suite auxquels il se retrouve étroitement surveillé par le régime communiste. Tourné en 1976, en pleine période de « normalisation » (euphémisme masquant une politique de fer), Rêves en rose est son deuxième long métrage de fiction.
Une magistrale liberté de ton
Présenté dans une copie superbement restaurée, le film – en couleurs étincelantes – rejaillit aujourd’hui sur grand écran dans toute sa splendeur. Évoquant une transposition de l’histoire de Roméo et Juliette dans la Tchécoslovaquie des années 1970, il met en scène les amours impossibles entre deux jeunes gens issus de milieux différents. Grand dadais lunaire et un peu magicien, caracolant allègrement sur son vélo, Jakub (Juraj Nvota) travaille comme facteur dans un petit village slovaque. Un jour, tandis qu’il entraîne des pigeons voyageurs à distribuer le courrier, il croise la route de Jolanka (Iva Bittová), belle jeune fille tzigane vivant dans une communauté un peu à l’écart de son village : instantanément, leurs regards s’embrasent, leurs cœurs s’emportent et leurs destins s’enlacent – mais leurs rêves d’une autre vie pourront-ils transcender les barrières invisibles qui les séparent et s’accorder durablement ?
À cette histoire somme toute banale, et presque aussi vieille que le monde, Dušan Hanák parvient à conférer un éclat neuf et un relief surprenant grâce en particulier à la magistrale liberté de ton et de style dont il use du début à la fin. Loin de la romance à l’eau de rose que semble promettre son (malicieux) titre, Rêves en rose s’avère ainsi d’une intensité très vive et contrastée. Semblant se déplacer à la façon d’un funambule sur un fil très ténu (et très tenu), suspendu entre fiction et documentaire, le film oscille continûment entre des registres variés – de la (tragi-)comédie romantique à la fable sociale, du féerique au burlesque, du prosaïque au poétique et du rose au noir. Composé de plans courts, presque des flashs pour certains, qui s’entrechoquent en un montage alerte et syncopé, il procède d’une belle audace formelle qui l’emmène parfois au bord de l’abstraction sans toutefois jamais perdre le contact avec la vie concrète.
Happy-end impossible
Restituant de manière chaotique et vibrante la candeur absolutiste des amours adolescentes, Rêves en rose livre également un constat sans fard sur les relations entre les habitants du village slovaque (les « gadjos ») et les Tziganes, relations faites de préjugés et de discriminations réciproques – le film étant le premier dans l’histoire du cinéma tchécoslovaque à donner une place centrale à la communauté tzigane. Sous l’effet d’un regard aussi lucide que celui de Dušan Hanák, tout happy-end apparaît impossible. De fait, le déterminisme social finit par l’emporter mais le cinéaste continue pourtant, à l’instar de son jeune héros, de jongler jusqu’au bout entre tristesse et gaieté, songe et réalité, avec une très gracieuse agilité.