Dans la Chine contemporaine et reculée, Madame Lin, vieille dame vivant seule, se retrouve suite à une chute prise en charge par sa famille, qui considère qu’elle n’est plus en mesure d’être autonome. Mais en raison de son refus d’être placée dans une sorte de maison de retraite, Madame Lin est alors ballottée d’un foyer à un autre par ses enfants, qui sans la moindre pudeur ni le moindre tact se disputent pour savoir qui va s’occuper d’elle.
Le rire de la spectatrice
Pour assister à ces disputes, à ces conciliabules sinistres, le cinéaste a souvent recours à des plans larges qui s’étirent dans le temps, dans lesquels toute la famille ou presque est convoquée pour évoquer le cas de la grand-mère. Ce dispositif minimal parvient à nous faire pénétrer au sein des espaces exigus qui servent de foyer à cette fratrie, de façon à nous faire assister en temps réel à ces échanges cruels, et ce en s’appuyant sur des acteurs remarquables dans leur capacité à communiquer cette électricité négative, à travers des paroles blessantes, des cris, ou de simples regards lancés via la profondeur de champs. Cette grand-mère, et c’est une des particularités de ce dispositif, apparaît lors de ces réunions souvent hors champ, mais tout en étant bien présente dans la pièce, comme spectatrice de la comédie que jouent ceux qui sont en train de décider de son destin. De là vient peut-être l’idée du rire. Idée passionnante et terrible, puisqu’il ne s’agit pas du rire qui outrepasse les vicissitudes du présent, mais bien du rire nerveux, fou et incontrôlable de celle qui à force de désespoir a perdu la raison. Mais ce rire est également celui d’une spectatrice non seulement de sa destinée, mais aussi tout simplement de la farce sinistre que joue sa famille. La cruauté et la bêtise de ces gens forment un tableau finalement assez peu éloigné du grotesque ou de la bouffonnerie, au sens théâtral du terme. Bouffonnerie qui atteindra son paroxysme dans la dernière scène.
Quelle Chine ?
Il serait facile de voir dans l’abandon de cette grand-mère et dans l’attitude de ses enfants une image de la mutation d’une Chine qui, de par le développement de l’individualisme propre à la société marchande, a dorénavant perdu tout sens familial. Mais cette idée d’un éclatement des structures traditionnelles sous l’impulsion de l’économie de marché ne tient qu’à moitié, puisque la petite-fille, seul personnage qui a un tant soi peu l’air de se soucier de la grand-mère, fait part à ses parents de sa volonté de quitter cette petite vie et ce trou à rats pour aller dans la grande ville travailler à l’usine. La classe qui est visée est donc la classe des parents, à mi-chemin entre deux époques : classe modeste qui vit dans des coins reculés, mais relativement éloignés du confort moderne, des technologies de pointe et des divertissements que convoitent notamment les plus jeunes.
Mais tout cela reste flou, en tout cas trop flou pour que nous soyons en mesure de sonder en profondeur la nature de la violence que nous voyons. Le sort terrible réservé à cette grand-mère nous prend finalement au dépourvu, nous tombe dessus de façon trop abrupte, sans que nous ayons assez de matière ou de recul pour comprendre ce qui a pu générer une telle situation. En cela le film est frustrant, car malgré son ambition et sa volonté de traiter d’un sujet de société aussi dramatique que celui du sort réservé aux personnes âgés dans la Chine contemporaine, il peine à nous proposer un tableau consistant de cette société, et empêche par conséquent toute forme d’empathie véritable. En ayant recours à de multiples scènes de crises, dans lesquelles on crie ou on s’invective, le cinéaste a trop tendance à se reposer sur cette forme de climax dramatique que représente la réunion de famille qui dégénère. L’effet de surface l’emporte alors sur les ramifications souterraines.