Chronique d’un été
Dans une petite ville désœuvrée de l’Arkansas, Dayveon, à peine 13 ans et toujours à vélo, évolue entre deux forces contraires, deux influences qui construisent un quotidien vulnérable et sous tension permanente. Depuis la mort prématurée de son grand frère — pour lequel il vouait une admiration et qui a été abattu par un policier — Dayveon est élevé par sa grande sœur et son compagnon, qui tentent de joindre les deux bouts dans une partie de l’Amérique désillusionnée et mise de côté. Mais Dayveon traîne avec un gang local : les « Blood ». Pour officialiser son entrée dans le gang, l’adolescent se retrouve embarqué dans des rites initiatiques qui vont brutalement faire voler en éclats son innocence.
En faisant coexister ces deux formes d’autorités, ce premier film pourrait s’appréhender par le prisme d’une dualité, à la fois narrative et formelle, qui immerge le spectateur dans une atmosphère trouble, poétique et extrêmement âpre. Les ballades estivales, filmées avec une certaine légèreté et insouciance, contrastent d’entrée de jeu avec le climat de violence qui entoure Dayveon. Matérialisée par un pistolet que l’adolescent garde caché dans sa chambre — seul héritage laissé par son frère — ou par les coups qu’il reçoit lors de son intronisation parmi les « Blood », cette violence est d’abord subie, basculant l’enjeu du film dans le rapport de force, entre rejet et intériorisation, que va entretenir l’adolescent avec l’apprentissage de cette violence.
Déconstruction adolescente
Ancrée dans un climat de détresse sociale et de monotonie, cette adolescence afro-américaine rappelle inévitablement le parcours de Chiron dans Moonlight. La construction adolescente s’appuyait également chez Berry Jenkins sur l’utilisation d’un basculement entre une poétisation de l’image et la gravité des événements vécus par le personnage. Sur un fil narratif plus classique, car concentré sur un été, Stupid Things se distingue pourtant par une prise de risque plus forte au niveau des choix de photographie et de montage.
Là où le film de Berry Jenkins affichait des couleurs vives, le parcours initiatique de Dayveon est ici traité avec une couleur pâle, plus sombre, reflet d’un environnement morne et délaissé. Ce parti pris n’empêchera pas Amman Abbasi d’introduire plus tard des couleurs plus affirmées, notamment au détour d’une séquence de boîte de nuit, autre rite initiatique que connaîtra Dayveon. Si dans Moonlight le jeune homme évoluait à l’écart des autres, Dayveon tente ici d’appartenir au groupe, et c’est peut-être à cause de cette ambition et des dilemmes qu’elle déclenche que le personnage évolue dans un cadre filmique singulier, qui l’isole comme dans un portrait. Par ce biais, le cadre s’impose comme un prolongement des états d’âme de Dayveon, constituant une réponse franche et imparable face à toute forme d’espoir.
Cette audace formelle permet de resserrer l’intensité d’une focalisation interne, nous donnant l’impression de tout percevoir à la hauteur du personnage, comme pour mieux nous en faire ressentir le manque de perspectives, et l’incapacité à se projeter plus loin que ce que nous offre le champ. À la manière du très beau Été 93, autre premier film, où l’expérience du deuil est éprouvée à hauteur d’enfant, Amman Abbasi affirme ici ce choix de focalisation comme un moyen efficace pour partager l’expérience d’un passage à l’âge adulte prématuré.