Éric Gautier est l’un des chefs opérateurs les plus demandés au monde. Complice de metteurs en scène comme Arnaud Desplechin, Patrice Chéreau, Olivier Assayas ou plus récemment Alain Resnais, sa carrière a pris une envergure internationale avec des films comme Carnets de voyage de Walter Salles en 2004, Into the Wild de Sean Penn en 2007 ou Taking Woodstock, le prochain film d’Ang Lee.
Devant cette impressionnante filmographie, c’est avec déchirement que l’entretien a été centré sur quelques-uns de ses films les plus récents, en particulier L’Heure d’été, Cœurs, et un peu plus anciennement Clean.
Clairement passionné par son métier, généreux dans ses réponses et dans le temps qu’il y accorde (plus d’une heure trente d’interview !), Éric Gautier nous raconte son parcours, la vision de son métier et sa manière d’appréhender le cinéma.
Le parcours
Qu’est-ce qui vous donné envie d’être chef opérateur ? Comment êtes-vous venu à la lumière de film ?
Par beaucoup de choses : c’est avant tout… ça commence fort. Même aujourd’hui je suis assez incapable de l’expliquer. C’est un parcours…
En gros, j’ai fait du cinéma pour échapper à un milieu « petit bourgeois parisiens » qui m’ennuyait. Petit bourgeois dans l’état d’esprit mais d’origine modeste, plutôt ouvrière. Ce n’était pas un monde de culture, même s’il y avait pour elle du respect… Comme une belle poterie qu’on met sur la cheminée. Et ce rapport m’a donné pour la culture de la curiosité et de l’intérêt.
Ensuite il y a des choses évidentes : j’ai toujours été doué pour dessiner, pour la musique. J’ai fait beaucoup de musique étant adolescent, mais en explorateur, ce sur quoi mes parents m’ont toujours aidé. Je suis un vrai autodidacte en fait. À cette époque, je croyais que j’allais être musicien professionnel et le monde de la musique dans lequel j’évoluais, surtout le jazz – et on pourra y revenir car il y a un vrai rapport avec ce que je fais –, était la raison d’être de ma vie.
Mais au bout d’un moment, les musiciens ne restent qu’entre eux et ne parlent que de musique. D’ailleurs dans une interview récente qu’il a donnée concernant son exposition au Louvre, Pierre Boulez reprochait de la même manière aux musiciens de ne pas s’intéresser à la peinture et de ne pas s’inspirer des arts graphiques. Et moi, à ce moment-là j’étouffais ; j’étais trop curieux de voir autre chose ailleurs.
Je pense que je me suis dirigé vers le cinéma parce que, même si j’avais une idée assez abstraite du désir de cinéma, c’était un carrefour entre tout : l’architecture, la psychanalyse, l’histoire, la philosophie, la littérature, la peinture, la photographie, la chorégraphie et surtout la musique.
Après il y a eu des concours de circonstances que j’ai aujourd’hui oubliés, mais j’ai réussi le concours d’entrée à l’école de cinéma Louis-Lumière (ex Vaugirard, nda). Je m’intéressais au cinéma même si je n’étais pas du tout cinéphile. C’est réellement en suivant ce cursus que j’ai eu la révélation, que j’ai pris plaisir à faire de l’image. J’ai été opérateur très tôt ; sur des exercices au début puis des courts-métrages… Et je ne me suis jamais arrêté.
Est-ce qu’il y a des films en particulier – ou des chefs opérateurs – qui vous ont marqué, dont le travail vous a intrigué ? On peut penser à des gens comme Raoul Coutard ou Néstor Almendros ?
Pas tout de suite. Au début je remarquais des choses intuitivement mais c’est véritablement lire, chercher par moi-même et regarder des films qui m’a sensibilisé au travail de l’image et à la spécificité du cinéma.
L’époque à laquelle j’ai commencé l’école de cinéma était par exemple celle de Tess de Roman Polanski, dont la photo de Ghislain Cloquet était vraiment remarquable, et des premiers films de Wim Wenders que nous voyions. Avec Alice dans les villes, photographié par Robby Müller, j’ai commencé à voir les différences, à apprendre les noms des opérateurs et essayer de repérer.
Donc je suis devenu cinéphile… Non, pas vraiment cinéphile parce que je n’ai pas l’état d’esprit d’un cinéphile : je ne suis pas collectionneur.
Ensuite, certaines personnes m’ont guidé et j’ai fait beaucoup de courts-métrages en m’appuyant sur les nombreux écrits des chefs opérateurs qu’il y avait dans les années 1970. Je les ai énormément lus : on y trouvait des choses passionnantes.
J’ai été accompagné par des opérateurs, mais pas tellement Raoul Coutard à ce moment-là. Ou alors moins par sa photographie que par son état d’esprit, sa volonté de donner à la mise en scène et aux acteurs un maximum de liberté. Avec lui, par exemple, les acteurs pouvaient ouvrir les fenêtres d’un décor, ce qui à l’époque était quasiment impossible à cause des éclairages, des gélatines… C’est plus tard que j’ai vraiment découvert les films de Godard des années 1960… Et puis je suis contemporain du retour de Godard avec Sauve qui peut (la vie) qui a été un choc. Comme, à quelques années près, le choc de Raging Bull qui était absolument éblouissant. Je l’ai vu trois fois dans la même semaine.
J’ai vraiment grandi avec Gordon Willis, Néstor Almendros et Sven Nykvist énormément. Mais il n’y a pas eu de déclencheur : souvent on me demande quel est le film qui a été le déclencheur, mais il n’y en a pas. Il y a eu des films ou j’ai compris quelque chose comme Vol au-dessus d’un nid de coucou ou L’Énigme Kaspar Hauser que j’ai vu au lycée public vers quinze ans grâce à notre professeur de français. Là, je me suis rendu compte qu’il y avait un vrai travail de mise en scène.
D’une manière générale, mon désir de cinéma vient d’ambiances de cinéma populaire. Je dois tout au Clan des Siciliens ou aux films avec Gérard Oury, aux films de Sautet… Tout ce cinéma populaire qui était d’une qualité inouïe et qu’on a perdu aujourd’hui, que l’on trouve davantage dans le cinéma d’auteur. Et cela m’étonne beaucoup et me manque, parce que c’est toujours ce genre de films que j’ai envie de faire.
Comment est-ce que vous définiriez, en quelques mots, votre métier ou rôle de chef opérateur ?
C’est difficile de faire rapide sans donner une idée superficielle ou tomber dans le cliché. Je pense qu’il y a plusieurs conceptions du métier de chef opérateur et plein de façons de l’être. Officiellement, selon les termes du CNC, je suis le responsable de l’image que l’on voit sur l’écran d’un point de vue technique et artistique.
Moi, j’ai avant tout la sensation d’aider un réalisateur à faire son film. C’est ainsi que je l’envisage, bien avant de faire de la lumière. L’essentiel de mon temps je porte une casquette de chef de chantier : il faut rendre le film faisable, le faire dans les temps et avec un budget donné. Je suis en partie responsable de l’argent que cela coûte et de ce qui est dépensé. C’est très prosaïque et pas très glamour de le dire ainsi mais c’est quand même une chose essentielle s’il faut définir mon métier.
Aider un réalisateur à faire son film, c’est donc rendre le film faisable techniquement et surtout, le plus important mais qui est une moindre part dans le travail effectif, trouver la voie esthétique.
Un jour sur un tournage en province, un figurant qui comme souvent faisait partie de la population locale et ne connaissait pas les tournages, vient me voir à la fin de la journée alors qu’il m’avait vu à la caméra et me dit : « Mais vous c’est quoi votre métier alors ? Vous êtes l’assistant du réalisateur ? » J’ai trouvé que c’était une très belle définition.
Le rapport à la mise en scène : à propos de L’Heure d’été
Sur votre rapport avec le réalisateur, prenons l’exemple de L’Heure d’été, votre cinquième film avec Olivier Assayas que vous connaissez donc déjà très bien.
Comment se passe la préparation : est-ce que vous possédez déjà un langage commun ? Est-ce que vous prenez des films de référence ou des tableaux – en l’occurrence on peut penser à la peinture pré-impressionniste de Corot, évoqué dans le film ? Comment est-ce que vous établissez un langage visuel commun ?
C’est une question dont la réponse est très complexe. La question est : comment détermine-t-on le style d’un film ? Plus j’avance et plus il m’est impossible de répondre. Si on répond simplement, on tombe dans quelque chose de très grossier, de caricatural et pas tellement intéressant.
C’est comme un écrivain : il ne viendrait à l’idée de personne de demander à Marguerite Duras comment elle a trouvé son style. Elle n’a pas un jour cherché à se comparer avec les autres et dit : « Voilà, c’est mon style. » Il s’est inventé progressivement, par minuscules touches, en cherchant tous les jours.
S’il y a un point commun que j’ai avec les réalisateurs avec lesquels je travaille c’est cette volonté d’expérimenter, d’inventer un nouveau style pour chaque film, de faire des choses autrement. Toute la difficulté étant de développer une cohérence tout au long du film.
Il serait trop facile de croire qu’il y a une référence comme point de départ. Au tout début, quand je faisais du court-métrage, on prenait un film – Le Parrain par exemple – et on essayait de recopier. C’est normal, quand on débute : Van Gogh a copié les tableaux de Rembrandt et Picasso ceux de Velasquez.
Au moment du premier film qu’on a fait ensemble avec Olivier Assayas, Irma Vep, on ne se connaissait pas. Il m’a appelé au dernier moment, un mois avant le tournage, ce qui fait que l’on n’a quasiment pas préparé mais travaillé vraiment dans l’intuition, dans l’instinct. On a tourné en seulement quatre semaines mais avec beaucoup d’harmonie, malgré la courte durée du tournage et le nombre important de lieux dans lequel le tournage se déroulait. Et ce rythme-là fait aussi partie de son cinéma.
Je pense qu’on a poussé le bouchon encore plus loin que dans L’Eau froide où il allait déjà loin dans la légèreté, la virtuosité des mouvements, l’idée de capter l’énergie. Pour Irma Vep, nous voulions être encore moins sophistiqués, être plus bruts et aller vite. Mais cela venait davantage de lui que de moi à ce moment-là. Il a senti que cela pouvait très bien fonctionner et cela a très bien fonctionné.
L’une des singularités de L’Heure d’été est son image très claire, lumineuse et le très grand nombre de travellings, assez lents et posés qui donnent un sentiment de fugacité, de « saisi sur le vif » évoquant dans une certaine mesure les recherches des peintres impressionnistes.
Dans cet exemple, est-ce Olivier Assayas qui vient vers vous en vous disant « voilà ce que j’aimerais tenter » ou est-ce que ces caractéristiques naissent de recherches communes pour traduire artistiquement les aspirations du metteur en scène ?
Ce sont les deux à la fois. La lumière est comme la direction d’acteur, ce sont des choses très proches et dont il est difficile de parler. On ne peut pas obliger un acteur à faire quelque chose qu’il ne ressent pas. Par contre, on peut le pousser dans une direction qui va faire sortir quelque chose d’inattendu.
En lumière, si un réalisateur arrive avec une idée trop précise ou trop définie, ce ne peut être qu’un parti-pris grossier comme « On va éclairer tout en bleu » ou un cliché ; une référence à quelque chose qui existe déjà. Cela ne m’intéresse pas de recopier ce qui a déjà été fait, je n’y vois aucun intérêt. Par contre, on peut prendre des sources d’inspiration pour rebondir et fabriquer quelque chose de nouveau. Ce n’est même pas on peut, c’est il faut. On a besoin de se nourrir du talent des autres. Mais une référence doit rester une ouverture et ne pas devenir une finalité en soi.
Comment s’est mis en place ce dialogue avec Olivier Assayas ?
On se connait bien à présent avec Olivier. On parle souvent de cinéma, de choses qu’on aime, qu’on n’aime pas… Ce qui a établi nos références. On a en commun d’être profondément liés à la Nouvelle Vague qui est sur l’impression et se trouve, je pense, très proche des impressionnistes. C’est l’impression ressentie qui compte, plus que l’histoire qui est racontée, donc en opposition au cinéma classique (comme les impressionnistes sont en opposition à la peinture classique). Et il s’agit dans les deux cas d’expériences personnelles, ce qui n’était pas le cas de la peinture et du cinéma classique.
Là nous allons revenir au jazz, à l’improvisation et au travail sur les harmonies. Quand on a un thème avec une grille de lecture, des harmonies qui existent, c’est intéressant de les détourner et de les changer pour les faire résonner et, avec la même mélodie, donner une couleur ou une impression (pour revenir à la peinture) différente. Un thème en majeur peut être joué en mineur. C’est ce que fait Mahler quand il adapte Frère Jacques dans la Première Symphonie. Le thème réécrit sur le mode mineur donne un sentiment complètement différent, triste et beau.
Je pense que mon travail se trouve quelque part par-là. Je n’ai pas composé la mélodie mais, par contre, c’est moi qui vais donner cette impression.
Olivier et moi avons une sensibilité très proche dans ces domaines-là bien qu’on soit très différents dans la vie et sur plein d’autres choses. Mon premier travail est d’être une éponge, de m’imprégner de ce qui émane de lui et de ce qu’il suggère.
Quand on a fait Les Destinées sentimentales c’étaient plutôt les post-impressionnistes qui nous inspiraient, Bonnard, Vallotton ou Vuillard. Pour L’Heure d’été ce sont davantage les précurseurs comme Corot. Mais il n’y a pas de références explicites à des tableaux ; même si forcément c’est derrière ; comme la musique.
L’Heure d’été fonctionne de façon cyclique. On commence en été, puis on passe l’automne, l’hiver, le printemps et on se retrouve l’été d’après avec la maison à l’abandon qui va être vendue. Le film démarre avec la réunion de famille et se termine avec les enfants et petits-enfants ; au total sur trois générations. J’ai travaillé le style visuel pour accompagner cette structure.
- Été : Le début est très coloré. La famille réunie donne une image du bonheur qui s’estompe et devient très ténue à la fin de la scène. Les enfants partent et la mère (Edith Scob) reste seule dans une pénombre. Ces plans font pressentir la mort.
— Automne : La mère est morte ; les couleurs sont beaucoup plus neutres et désaturées.
— Hiver : Les couleurs plus sont froides et très désaturées. Les enfants vendent la maison et la rupture avec leur enfance s’achève.
— Printemps : On suit la donation au musée d’Orsay et l’histoire de la jeune génération. L’image est moins désaturée dans les couleurs.
— Eté : L’été revient avec ce sentiment impressionniste et une image très colorée, lumineuse, surexposée, évoquant le renouveau comme un bourgeon qui éclot au retour du printemps ou de l’été.
Il y a dans le film un rapport avec la fragilité de la vie, quelque chose de très personnel de la part d’Olivier qu’il essaie de faire surgir. Il avait imaginé que la caméra soit toujours sur travelling, créant un rythme qui amène une mélancolie ou alors souvent de l’énergie ; ce qui est l’une des forces de son cinéma.
Je lui ai proposé que la fin avec la jeune génération soit le seul moment du film caméra à l’épaule ; d’une part pour des questions d’emploi du temps (cela permettait d’aller vite car il n’y avait pas assez de temps pour tout tourner) et surtout parce que c’était cohérent avec le film. Ensuite, il est allé encore plus loin en imaginant des plans très compliqués, passant de pièces en pièces.
Olivier Assayas aime les choses très réalistes et arrive à faire que le style du film se détache du réel. Au bout d’un moment on est davantage dans l’âme humaine que dans le pur réalisme ; tout en s’appuyant sur des choses très réalistes.
C’est l’exact inverse d’Alain Resnais, par exemple, qui cherche l’absence de réalisme pour trouver quelque chose de vrai dans l’être humain. Ce sont des parcours très différents – et j’adore évidemment ces angles d’attaque opposés – mais il y a sur le fond des sensibilités qui se rejoignent. Il y a, dans cette façon de ressentir les choses, une même famille d’opinion (pas au sens d’opinion politique, parce que souvent on peut avoir des idées divergentes). Ce qui me plaît, pour revenir sur les origines de mon métier, c’est de me confronter à tous ces univers, ces façons différentes d’aborder les choses et de creuser un peu plus.
Caméra portée & rapport aux acteurs
Vous évoquiez les caméras portées, qui est une des esthétiques que vous semblez aimer travailler. Est-ce pour vous un principe esthétique ou une façon de filmer qui permet une plus grande improvisation ? Ou éventuellement un moyen permettant de donner plus de liberté à la mise en scène et éventuellement aux acteurs ?
L’idée de rapidité, d’improvisation et de liberté est une chose, mais avant tout la caméra portée est un outil parmi d’autres. Je n’ai aucun a priori ni aucun avis dans l’absolu ; tout est intéressant à utiliser.
C’est vrai que l’on m’a donné à un moment la réputation d’opérateur caméra à l’épaule. Mais sur les trente-cinq films que j’ai faits, il ne doit y en avoir que quatre ou cinq où la caméra à l’épaule est prépondérante… et beaucoup plus dans les débuts. Ils ont peut-être été marquants mais il n’y en a pas eu tant que ça.
Irma Vep est énormément à l’épaule ; Clean, c’est quasiment 90% à l’épaule mais c’était le parti pris d’Olivier, ce n’est pas moi qui l’ai proposé. Lui se sert de l’épaule pour organiser une espèce de chorégraphie avec le comédien, qui fait qu’on quitte la réalité matérielle. Il y a quelque chose qui devient irréel… Pas vraiment irréel mais qui s’arrache à la vie autour. Tout l’enjeu de Clean était d’arriver à un état de perte d’équilibre de son personnage principal, Maggie Cheung, alors que le monde autour est très réaliste et ramène toujours vers un sentiment de pesanteur. Là c’est un peu quelque chose qui s’élève, comme un mouvement d’hélicoptère qui rend tout léger. C’était cela l’idée de la caméra à l’épaule en termes de rythme. Mais elle venait d’Olivier.
Il y a aussi beaucoup de caméra à l’épaule dans Intimité de Patrice Chéreau, à l’exception des scènes de sexe travaillées très précisément. Cela permettait de donner de la fluidité, de la liberté aux comédiens. C’était très improvisé… Mais on peut faire des choses très précises à l’épaule.
Quand Arnaud Desplechin utilise la caméra portée, cela prend un autre sens. Il aime beaucoup les plans à l’épaule non pas pour l’esthétique qu’ils apportent (et dont il essaye de limiter au maximum les effets) mais parce que le comédien n’a plus en face de lui un appareil fixe sur une Dolly ou sur un pied mais véritablement un être humain. La caméra se met à exister, à vivre. Il y a de nombreuses façons d’envisager la caméra à l’épaule.
Par contre dans Gabrielle, il n’y a pas un plan à l’épaule. Dans L’Heure d’été il y en a très peu et encore c’est parce qu’ils s’y prêtaient particulièrement bien pour finir mais on aurait très bien pu ne pas en avoir du tout. Et dernièrement, le film que je viens de faire avec Ang Lee à propos du festival de Woodstock (Taking Woodstock, nda) a très peu de plans à l’épaule.
Ang Lee a un cinéma très maîtrisé, contrôlé, cadré mais il avait envie de travailler différemment. Il voulait essayer de capturer l’énergie de la jeunesse et de ce monde de 1969, qui est l’apogée de 1968 avant la dégringolade ; avant de basculer vers autre chose. J’avais peur qu’il ne me propose de tomber dans le cliché des choses à l’arraché, dans le style documentaire, ce que j’aurais trouvé ennuyeux. Mais la première chose qu’il m’a dite est qu’il déteste absolument la caméra à l’épaule. Et en effet nous ne l’avons utilisée que très rarement, quand les lieux étaient très exigus. La théorie d’Ang Lee, qui est exactement l’inverse de celle d’Assayas mais tout aussi vraie, est que les plans à l’épaule font voir la mise en scène. Ang Lee cherche à rendre la mise en scène la plus discrète possible et c’est pour lui quand le plan est à l’épaule qu’il sent qu’elle est présente. Assayas dirait, je pense, exactement l’inverse. Et cela se défend très bien, ce sont des logiques justes dans les deux cas.
Ils n’ont pas les mêmes sensibilités, les mêmes personnalités ni la même façon d’écrire le cinéma. Ils s’apprécient et sont proches d’une certaine façon, mais pas formellement. C’est comme un peintre qui n’aimerait pas le rouge et l’autre qui n’aimerait pas le bleu – c’est grossier mais c’est un peu ainsi – cela ne veut pas dire qu’il n’aime pas le rouge chez l’autre.
Je ne suis pas un fan du steadicam, qui est souvent utilisé par paresse, mais quand il est bien utilisé ça peut être formidable. Le steadicam est une caméra qui flotte dans l’espace alors que la caméra à l’épaule est vraiment accrochée à la terre. Dans le dernier Resnais, on en a utilisé beaucoup parce qu’il y avait vraiment l’idée de… (Il s’arrête et rit.) Enfin, je ne vais pas parler d’un film qui n’est pas encore sorti…
Beaucoup des films dont vous faites la photographie sont centrés – disons sur les personnages pour être caricatural – et accordent une place centrale au travail des acteurs. J’ai lu par ailleurs qu’il vous était déjà arrivé de participer au casting.
Comment se met en place votre rapport aux acteurs dans votre façon de les filmer et notamment dans des films où est exposé le corps de l’acteur comme Intimité ou Son frère ?
Il m’est arrivé de travailler avec des réalisateurs quand ils font les essais mais généralement je ne participe pas aux castings. Le travail avec un acteur pendant le casting, même si finalement il n’aura pas le rôle, permet au réalisateur de chercher son personnage… Enfin quand c’est du vrai travail, ce qui n’est pas toujours le cas. C’est ce que fait Patrice Chéreau : il rencontre vraiment les acteurs, il travaille, il fait des essais et arrive ainsi à mieux déterminer les contours de ses personnages. À ce moment-là j’apprends énormément de choses sur le film et sur les intentions du metteur en scène.
Ce qui m’intéresse avant tout dans le travail d’opérateur est de filmer les comédiens, ou plutôt les personnages. Je ne sais éclairer un décor que lorsque je sais éclairer un comédien.
Il y a plusieurs façons d’aborder l’image : certains opérateurs travaillent d’abord sur l’ambiance d’un décor pour mettre ensuite les comédiens dedans. Moi c’est l’inverse, mon imaginaire prend toujours comme point de départ le comédien. J’ai besoin de cette inspiration pour construire une lumière et après je me sers du lieu, de la réalité du lieu. Et j’aime bien faire une interaction entre les deux.
Donc oui, l’inspiration c’est absolument les comédiens et forcément cela crée un rapport de complicité. C’est pour cela que je ne travaille jamais avec des doublures par exemple. Je préfère rester dans l’abstrait, sans rien voir, et imaginer ce qui va se passer plutôt que de travailler avec quelqu’un qui n’est pas la vraie personne, même si elle lui ressemble physiquement.
Et c’est aussi pour cela, par exemple, que je cadre toujours, parce que j’ai besoin d’être relié à l’acteur au moment où l’on tourne, c’est-à-dire quand il incarne son personnage. Même si Emmanuelle Béart propose très gentiment de se mettre en place pour la lumière, je ne vois pas grand-chose. C’est quand la caméra tourne que je vois si ce que je suis en train de faire fait sens et surtout comment il va falloir vite réagir sur la suite. Je fais aussi attention à ne pas me laisser distraire par la réalité du plateau : je suis à l’œilleton, souvent avec le casque, en connexion avec l’acteur… et c’est là que je vois ce que je fais.
Entre deux répétitions, par exemple quand un plan se met en place, ou entre deux prises, est-ce qu’il peut vous arriver de changer…
Très rarement. J’essaye toujours de construire un plan avec des solutions de rechange très faciles pour pouvoir rapidement faire des ajustements presque invisibles : bouger un peu, déplacer un peu, ajuster un peu… Je fais toujours en sorte qu’il y ait cette légèreté-là. Il m’arrive très rarement d’avoir à faire de gros changements. Mais cela peut arriver. Quand je sens que je suis dans une impasse, dans une direction qui n’est pas assez forte, qui détourne de ce qui se passe réellement ou qui n’est pas à la hauteur, il m’est déjà arrivé de prendre du temps pour retravailler le plan.
C’est un jeu d’attention à ce qui se passe autour. Il faut toujours être en état d’écoute et aux aguets de ce qu’il y a tout autour. Il ne faut pas que ce soit au mauvais moment. Parfois il vaut mieux être imprécis ou laisser tomber une mauvaise ombre, plutôt que de casser ce qui est en train de se produire et ne se reproduira plus jamais.
Je passe mon temps – mais un metteur en scène ou un acteur c’est pareil – à corriger le tir. Il ne faut surtout pas croire qu’on part avec une idée prédéfinie et voilà, il n’y a plus qu’à faire la lumière. Non, c’est une construction en évolution permanente et une vigilance aux petits détails comme bouger un projecteur, décaler un peu la caméra, la remonter un peu… Ou même sentir que l’acteur est préoccupé par quelque chose et lui dire : « C’est pas grave, si ça te gêne je l’enlève. » Des fois c’est juste un rien qui les bloque.
Et ce sont tous ces minuscules détails qui font le style d’un film. C’est cette accumulation de mini-décisions, micro-décisions qui fait qu’au bout d’un moment une cohérence apparaît.
Plus j’avance et plus j’arrive à faire des choses pointues, c’est-à-dire en harmonie avec le metteur en scène. C’est lié à l’expérience. Et dans le même temps, plus j’arrive à faire des choses justes et subtiles dans cette recherche d’un univers qu’on essaye de définir avec le metteur en scène et moins je peux définir comment j’y suis arrivé.
Pour moi, le doute et la modestie sont nécessaires dans mon travail de chef opérateur. Il s’agit d’être au service du film. Parfois je dois prendre un peu trop de décisions tout seul, parce qu’il faut aller vite. Combien de fois suis-je en train de faire quelque chose et on n’a même pas le temps de se parler avec le réalisateur car il est trop occupé… Mais cela marche aussi dans les deux sens. A certains moments, il peut arriver qu’Arnaud Desplechin me dise : « Là, Éric, tu ne crois pas que c’est un peu trop dur ou trop sombre ? » On se parle et en général plus on se connaît, plus cela va vite ; même si avec Sean Penn ou Ang Lee, dès le début tout était évident, le dialogue était naturel…
Le tournage, lieu de la création : à propos de Cœurs
Vous parliez là de la façon de chercher en permanence et Cœurs que vous avez fait avec Alain Resnais donne l’impression – peut-être pas à juste titre – d’avoir un découpage très millimétré…
Le découpage était inventé généralement le matin même et finalisé en fonction des mises en place avec les comédiens. Il y a une grande part d’improvisation qui s’appuie sur beaucoup de préparation avant le tournage.
La première chose que m’a dite Alain Resnais en me rencontrant est que même si la pièce d’Ayckbourn ressemblait à une comédie, lui voulait l’entraîner vers le tragique. La mise en scène pour le théâtre d’Ayckbourn jouait beaucoup plus sur la comédie (qui s’appuie sur des choses dramatiques et désespérées). Ce n’était pas le parti-pris d’Alain : c’est intéressant parce qu’il raconte la même chose mais sur un ton radicalement différent. La forme est en contrepoint – on revient à la musique – du fond. C’est un film sur le désespoir et la solitude mis en scène avec légèreté.
Pour me faire ressentir ce qu’il cherchait, il m’a donné cette image pendant la préparation : « On pourrait imaginer que tous ces personnages sont des méduses poursuivies par un énorme crustacé qui les rattrapent : ce crustacé, c’est la solitude. » Cela m’a été un guide précieux, de même que la musique de Mark Snow qu’il m’a donnée à écouter. Souvent ses compositions simples et mélodieuses basculent de façon imprévisible dans une tension harmonique très dramatique.
Une idée géniale d’Alain (qui n’est pas dans la pièce) est la neige qui tombe entre les différents tableaux, donnant à cet univers plutôt étouffant une sensation d’apesanteur et de légèreté.
Il m’a dit aussi qu’il souhaitait avant tout que l’image du film soit très diffusée, très glamour. Glamour est le maître mot pour lui parce que c’est le cinéma qu’il aime ; c’est Lubitsch.
Le style de plan-séquence s’est inventé au fur et à mesure à partir de la structure même de toutes ces séquences (qu’Alain appelle des tableaux). Quand il y avait du découpage, des plans qui arrivent très vite (Alain qui a toujours des mots poétiques les appellent des « cliquetis ») c’était justement pour redynamiser, casser, et reprendre cette idée de fluidité qu’on avait toujours à l’esprit.
Au début, il partait avec des idées de plans très découpés. Le matin il me disait : « Est-ce que vous pensez qu’on pourrait faire tel et tel plan ? », et je répondais : « Est-ce que vous voulez relier les deux ? »
Tout au long de sa filmographie il a fait des fameux plans séquences et je sentais qu’on pouvait aller dans cette direction. Et puis cela se ressentait dans son découpage : deux plans larges pouvaient facilement être reliés. Je trouvais cela plus agréable et cela ne me posait aucun problème technique et ne prenait pas plus de temps à tourner. Fort de cette complicité, il m’a ensuite proposé des plans-séquences de plus en plus compliqués.
Alain souhaitait aussi qu’il y ait beaucoup de couleurs dans le grand bar de l’hôtel. C’est lui qui a eu l’idée du mélange de rose et bleu, ce côté très dissonant et vulgaire. Il voulait que cela fasse branché et très mauvais goût, ce qui est très difficile à faire. Je n’aurais jamais imaginé de ma vie que j’allais un jour éclairer avec du rose ou du bleu comme dans les clips… En plus avec Alain Resnais ! C’est très difficile de donner l’impression de mauvais goût sans que ce soit désagréable, ou ennuyeux.
Alain invente des biographies de ses personnages et imaginait que Dussollier était un architecte raté, avec un appartement très structuré. Il me semblait donc assez évident que son appartement devait être assez froid et blanc.
Le café où Isabelle Carré attend ses rendez-vous est lui très monochrome, avec des tonalités très chaudes, sépia orange, pour faire un vrai contraste avec le bar de l’hôtel très coloré.
On a travaillé l’idée de l’instabilité permanente entre les personnages. Alain a proposé d’avoir des mouvements de lumière : par exemple dans le bar il y a des lumières qui palpitent dans le décor. Elles montent, descendent… Même si c’est peu perceptible.
On a aussi travaillé avec Jacques Saulnier les reflets de miroirs (il y en a beaucoup dans Cœurs) mais aussi les matériaux réfléchissant, les brillances, les reflets qui rendent les murs plus légers ; leur donnent de la profondeur et les rendent un peu immatériels. Il y a les murs mais on va toujours un peu à travers.
Dans Cœurs qui est entièrement en studio, est-ce que vous avez beaucoup travaillé avec le décorateur ?
Oui, énormément, et c’était formidable de travailler avec Jacques Saulnier qui est de la « vieille école », qui fait des maquettes… Il a un sens de la dramaturgie et du récit absolument impressionnant.
Ce qui est extraordinaire avec lui, et cela je m’en suis rendu compte en éclairant les lieux, c’est son sens des volumes, c’est-à-dire de l’espace dans lequel évoluent les comédiens et dans lequel circule la lumière.
Il n’est jamais dans les clichés, les problèmes de hauteur de fenêtre, les considérations de ce type… Il triche en permanence et invente un univers en corrélation avec ce qui est dans le scénario. C’est quelqu’un qui fait une traduction scénographique de ce qu’il ressent. Il m’est arrivé devant certains de ses décors de me dire : « C’est difficile à éclairer », « Qu’est-ce que c’est que ces proportions étranges… » Et le jour même où je commençais à allumer des projecteurs, cela se faisait tout seul.
C’est très agréable de travailler avec lui : on est très complices. Il s’est souvent senti frustré avec les opérateurs qui habituellement ont une phobie des reflets et les évitent à tout prix. Nous, on s’en est donné à cœur joie et Cœurs en est rempli. Il ne me semble pas difficile de trouver des solutions aux problèmes qui peuvent apparaître (projecteurs, perche, caméra, équipe…).
Justement, Cœurs est un film de changement d’espace permanent, de personnages passant – ou pas – dans l’espace des autres (les appartements que fait visiter André Dussollier, les bureaux de l’agence immobilière…). Beaucoup de surcadrages, de personnages derrière un paravent…
Alain Resnais adore toutes les séries américaines et on a beaucoup regardé 24h que je ne connaissais pas à l’époque. On s’est particulièrement intéressés aux bureaux de la cellule anti-terroriste séparés par des murs vitrés à travers lesquels les caméras filment en permanence. Alain avait cela comme idée de référence possible, par exemple pour l’agence immobilière.
Les Herbes folles par contre n’a rien à voir et n’est pas du tout en plans-séquences. C’est très découpé avec des points de vue très étranges… Mais bon, on en parlera une autre fois, quand il sera sorti.
Storyboard et préparation
Le storyboard est une méthode de travail assez opposée à votre conception…
Oui, bien sûr. Pour moi c’est absurde le storyboard, même si parfois c’est utile. Les fameux storyboards d’Hitchcock pour Les Oiseaux illustrent une mécanique infernale qui s’est construite de façon intellectuelle et que le storyboard aide à concrétiser. Donc là, c’est extraordinaire.
Il m’est arrivé d’utiliser des storyboards : dans le dernier film de Resnais on en a utilisé pour des plans liés à des trucages. Mais comment dire… On ne raconte pas une scène avec le storyboard. Par contre cela aide parfois à visualiser les choses et à en discuter à plusieurs. Mais cela demande de la part du storyboarder beaucoup d’humilité.
La plupart du temps les storyboarders font la mise en scène : ils dessinent très bien et donc reproduisent les optiques, les perspectives… On sent très bien que c’est un 25mm, tout le monde s’y habitue et ne se pose plus la question. Moi ça ne m’intéresse pas de faire le film du storyboarder et qu’il décide de mettre un 25mm. Si ça se trouve, c’est mieux d’être beaucoup plus loin et de faire la même largeur de plan mais avec un 50mm. Et cela, ça se discute avec le réalisateur. Il faut le chercher : cela dépend du lieu, de la réalité de l’espace et de l’acteur dedans.
Quand j’ai fait un film avec Enki Bilal – Tykho Moon, qui était un film de série B tourné avec très peu de moyens mais dans la tradition classique de série B – Bilal (qui dessine évidemment très bien) voulait dessiner pour se rendre compte du rythme des scènes. Je trouvais que c’était une très bonne idée mais au début, il faisait de vrais dessins, avec les acteurs… Je lui ai dit : « Arrête parce que là, tu figes tout. Si on voit cela, on n’aura plus d’imaginaire sur le plateau et tout le monde se contentera de copier tes dessins. »
Il faut arriver à garder la liberté de voir et de s’adapter à ce qui se passe. Donc je lui ai demandé de faire juste des « gribouillis ». Et comme il dessine très bien, en quelques coups de crayons on sent des perspectives, des personnages, les rapports entre eux. En découpant ces petites vignettes et en les collant dans mon scénario j’avais vraiment le sentiment du rythme de la séquence mais nous n’étions pas emprisonnés par le visuel. Lui, cela lui permettait de faire le découpage dans sa tête et nous de rester dans l’invention et la proposition au moment du tournage.
Pour vous, c’est donc le tournage le véritable lieu de la création et non pas une exécution de ce qui a été préparé ?
Oui bien sûr. Avant il y a tout le travail préparatoire, mais après le film c’est le tournage.
Je ne suis pas du tout quelqu’un qui croit au sacro-saint scénario : ce n’est pas parce que le scénario est plus abouti que ça donnera un grand film.
Les cinéastes asiatiques n’ont souvent pas de scénario au sens propre. Hou Hsiao-Hsien n’écrit pas de scénario mais prend des notes sur un petit cahier d’écolier (que l’on voit dans le documentaire que j’ai tourné avec Olivier Assayas). Il n’écrit jamais de dialogue mais explique à ses « non-acteurs » ce qu’ils doivent dire avec leurs mots. Souvent quand on parle du scénario de nos jours, on en parle comme si on faisait le cinéma des années 1950.
Cependant, on peut travailler avec des scénarios très aboutis comme le fait Arnaud Desplechin. Ses scénarios sont des chefs d’œuvre de complexité de construction. Il les travaille énormément… Il n’y a pas de règles.
Ce qui compte c’est de beaucoup préparer pour permettre d’improviser pendant qu’on tourne, de savoir où l’on va pour pouvoir ajuster le tir sans tomber dans les clichés.
Enfin il y a le montage qui est l’endroit ou le film se fait. Finalement c’est un peu comme faire la cuisine : il y a d’abord la recette que l’on peut inventer, puis faire le marché et choisir la qualité des ingrédients, les préparer ; puis la cuisson qui est l’assemblage. Ce sont des choses qui se ressemblent, d’une certaine façon.
Mais la vérité qu’il y a sur l’écran, l’âme du film, c’est ce qui est capturé par la caméra… Et cela, il faut le nourrir.
Mettre en place une séquence : le restaurant chinois de Clean
D’une manière générale, quand vous participez aux repérages, est-ce que vous partez de la lumière ambiante pour construire votre lumière, aimez-vous reconstruire complètement ou est-ce que cela dépend des films ?
Cela dépend des films. Intimité devait être naturaliste ; c’est cela la force du film… Je pensais qu’il était très important qu’on ressente l’hiver à Londres et le froid de la maison de Jay en contraste avec la chaleur des intérieurs, des pubs, des décors. On a beaucoup travaillé sur la façon de filmer les différents quartiers qui délimitent différentes classes sociales. C’était très important qu’on le ressente car cette différence de classes sociales entre les quartiers n’est jamais vraiment expliquée.
À l’inverse, Gabrielle devait être très abstrait, ce qui ne ressemble pas a priori aux films de Chéreau. Le film se passe essentiellement de nuit et nous avions décidé de n’avoir jamais aucune lampe dans le champ pour rompre avec l’esthétique attendue des films d’époque. Sauf pendant les grandes réceptions, où toutes les appliques sont allumées pour qu’il y ait une grande richesse lumineuse, un sentiment d’opulence. Mais dans le reste il n’y a jamais une lampe dans le champ, sinon de temps en temps une petite source au fond d’un couloir que je voulais garder sombre ; mais c’est un point lumineux flou, au loin, abstrait.
Le seul autre moment avec une lumière dans le champ est le moment où la lampe, tenue par une domestique en charge d’éteindre toutes les lumières sur son passage, remonte l’escalier jusqu’au dernier étage. Ce passage, qui existe dans la nouvelle de Conrad, est écrit de façon extraordinaire. Il y a vraiment cette description de la lumière qui remonte, comme une lueur miraculeuse. C’est cela que j’ai essayé de retranscrire mais je l’ai poussé vers le fantastique : une véritable lampe à pétrole ne produirait jamais cette lumière complètement fausse ; trop lumineuse et très bleue.
Quand je tourne en décor naturel, mon premier réflexe est de m’appuyer sur ce qui existe réellement parce que la lumière ambiante participe au choix du décor. Dans Clean, par exemple, la lumière s’est faite vraiment par les repérages. Le film s’est tourné avec une très petite équipe, vite et avec très peu d’éclairage. Très peu éclairer ne veut pas dire que cela ne soit pas contrôlé, au contraire. Je pense que Clean a un vrai style fort. Ce sont des choix qui se font différemment, mais qui se font ; et en particulier pendant les repérages. Le choix d’un lieu détermine ce que sera la mise en scène. Pourquoi tel lieu plutôt qu’un autre, qu’est-ce qui est intéressant… Même si après on peut transformer avec le décorateur. Par exemple, dans le café ou nous avons tourné la scène autour du billard avec Béatrice Dalle, l’arrière-salle était très sombre et j’ai fait rajouter par le décorateur plusieurs lampes (qu’il a recopiées à l’identique de celles existantes) que nous avons rajoutées au-dessus des tables et dans la profondeur. Mais la plupart du temps, pratiquement aucun lieu n’a été changé en dehors de quelques petits appoints : éteindre une lampe, changer une ampoule pour donner plus de puissance lumineuse…
Le travail de lumière est avant tout pour moi un travail sur le contraste. Le contraste est l’écart entre le très clair et le très sombre : sans contraste tout est gris et avec beaucoup de contraste il n’y a que du noir et du blanc (et entre ces extrêmes la gamme des nuances intermédiaires est infinie). Le contraste recouvre aussi celui des couleurs – saturées ou pas – et le contraste des couleurs entre elles.
Le travail des contrastes est pour moi l’équivalent de l’orchestration ou de l’arrangement en musique. C’est la création d’un climat ; d’une ambiance. Il y a différentes façons de procéder : en studio, c’est uniquement par la lumière, par les projecteurs. En extérieur, l’approche est différente puisque l’on part de quelque chose qui existe déjà ; et la maîtrise des contrastes se fait notamment par le choix de l’axe dans lequel on tourne (à contre-jour, le soleil latéral ou dans le dos…). Cela suppose donc d’être capable de changer son fusil d’épaule, et quand on prépare, pendant les repérages, de se dire : « Cela sera peut-être plus intéressant de tourner comme cela en fonction de la météo du jour. » Ici le plan de travail joue ici un rôle essentiel pour éventuellement permettre au moment du tournage d’intervertir des journées en fonction de la météo (ce que nous avons beaucoup pratiqué dans Carnets de voyage).
Travailler les contrastes c’est aussi jouer avec les filtres, avec les différentes marques d’objectifs, avec les types de pellicules et la façon de les exposer et de les développer ; ce qui en affecte à chaque fois le rendu (de couleur, de contraste, de profondeur des noirs, de brillances des hautes lumières…). Les possibilités de combinaisons sont infinies.
Le rythme de la caméra joue aussi : si je traverse très vite un lieu caméra à l’épaule, je ne ferai pas la même lumière que si la caméra reste en plan fixe pendant trente secondes.
Prenons une séquence en particulier pour illustrer votre façon de travailler : la première séquence dans le restaurant chinois de Clean.
Le restaurant chinois était, pour Olivier, un moment où le personnage de Maggie Cheung essaye de se reprendre, de se raccrocher à la vie sociale. Il avait envie de sentir cette espèce de tourbillon, et c’est le moment où il voulait le pousser le plus loin. Il voulait qu’elle passe de table en table puis descende l’escalier, passe les portes et prenne une bouffée de cigarette, se mette un peu à part, comme si elle avait besoin de se régénérer pour repartir.
Au début il pensait découper davantage la scène mais le petit couloir étant très étroit, on s’est pris au jeu de faire durer le plan le plus longtemps possible pour la voir s’enfoncer de plus en plus dans ce tunnel. Il était important de gagner une énergie qui monte en cours de plan, avec de plus en plus de tension et l’idée de ne pas savoir si elle va péter les plombs, où cela va aboutir. Un découpage classique aurait cassé ce mouvement fascinant et hypnotique qui s’installe dans la longueur du plan.
La seule façon de tourner était de la faire à l’épaule, même dans les escaliers, parce que le steadicam trop encombrant ne serait jamais passé ; tout en évitant que cela ne bouge trop pour rester fluide. Je faisais le point en passant les portes et j’avais même le micro sur la caméra car il n’y avait pas assez de place pour permettre à l’ingénieur du son de nous suivre. A quelques points stratégiques on essayait de cacher un micro mais la plupart du temps c’était moi qui prenais le son avec la caméra. Parfois il y a des pertes de point mais ce n’est pas grave, cela fait partie du plan ; de sa vérité et de sa fragilité.
Ce qui est aussi marquant dans cette séquence, c’est la très grande subtilité de changement des couleurs…
Oui, je l’ai vraiment travaillé. Même s’il y avait des lampes, j’ai dû rajouter des sources d’une part parce que c’était vraiment très sombre et d’autre part pour structurer le parcours. Après il y a juste le choix des ampoules : on change ou on met une couleur, on diffuse, on diminue, on fait un peu plus froid en jouant des effets de rythme.
Je voulais vraiment qu’on sente visuellement qu’elle passe différents états… Mais en restant subtil et crédible, en restant réaliste et en privilégiant ces moments ou le visage de Maggie Cheung est mis en valeur (quand elle fume dans le parking par exemple). La référence visuelle explicite était les films de Hong Kong avec leurs lieux souterrains, les couleurs hétéroclites des fluos… C’est filmé comme un film d’action en contraste avec les scènes de Nick Nolte qui sont beaucoup plus posées, plus calmes, plus douces en lumière.
Rapport à la technique et aux nouvelles technologies
Est-ce que vous avez l’habitude de travailler avec la même équipe technique ?
Je change beaucoup. Je fais des films très différents et j’ai toujours refusé de faire deux fois la même chose. Mon ennemi premier est l’ennui, et il monte très vite. Je suis quelqu’un de trop curieux et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai refusé beaucoup de films qui semblaient intéressants mais pour lesquels on me demandait de refaire quelque chose que j’avais déjà fait avant, que je savais faire.
J’ai toujours fait des choix en opposition avec ce que j’ai tourné précédemment. Passer de Cœurs à Into the Wild a été le grand écart mais c’est ce que j’ai toujours recherché. Cela veut dire aussi tous types de budget, très petits ou gros ; donc jamais deux fois la même liste de matériel.
La plupart du temps je ne fais pas d’essais mais des choix par intuition sauf si il y a des choses très précises que je veux tester pour en avoir le cœur net, comme le rendu couleur d’une pellicule. Je pense qu’il y a une part de prise de risques quand on fait un film : on crée un prototype, quelque chose qui n’existe pas, et il faut qu’il y ait une part d’expérimental dedans.
Plus on fait les choix tard, plus ils seront précis et en osmose avec le film. Toute la difficulté – et c’est à cela que sert l’expérience – est de prendre les décisions le plus tard possible. Plus vite on prend les décisions, plus vite on est prisonnier, c’est-à-dire qu’on voit les choses à travers le prisme de ces choix faits vite et souvent pour se rassurer.
Si on commence à se dire que l’image va être froide, on finit par tout voir pendant les repérages en pensant que l’image va être froide. Alors que si on ne fait pas le choix, on laisse venir. Peut-être au final que l’image ne sera pas si froide que cela mais juste à un moment stratégique. Peut-être qu’elle le sera quand même mais on sera arrivés à cette décision par un chemin qui sera beaucoup plus riche pour le film qu’en l’ayant déterminé trop tôt. Je me méfie beaucoup des essais. La difficulté est d’établir des listes ou mettre des options sans prendre des décisions fermes trop tôt.
D’ailleurs qu’est-ce que signifie faire des essais tant qu’on n’est pas à l’échelle réelle, avec les vrais décors, la vraie lumière du jour précis ? Vous filmez quoi en essais ? Quelqu’un devant un fond de telle couleur. Cela ne donnera pas plus que ça.
Par contre, si je filme Maggie Cheung devant un fond éclairé d’une certaine façon, dans la tension du tournage et en me souvenant de l’impression ressentie pendant le tournage la veille, je suis audacieux et mon imaginaire va décupler.
Je n’ai aucun a priori sur la technique. Tout est bon à utiliser si c’est intéressant pour le film. Il faut faire des paris. Finalement, on ne découvre le film que lorsqu’il est terminé. Par exemple il était impossible de savoir, pendant le tournage d’Un conte de Noël, l’impression que donnerait au final cette construction complexe, ou celle que ferait aux spectateurs le personnage de Mathieu Amalric.
C’est du pari tout le temps, et aussi de nouvelles combinaisons. Je change souvent de pellicule ou alors je reprends une pellicule mais pour l’utiliser complètement différemment… Ou parfois de façon très attendue aussi. Je ne cherche pas le hors-norme coûte que coûte : parfois tout doit être normal. Un conte de Noël a été fait uniquement avec du matériel standard, une pellicule standard, développée normalement sans rien de particulier. Tout le travail de l’univers est fait par la mise en scène et la lumière.
Les équipes elles aussi sont très variables. J’aime bien, ne serait-ce que parce que je tourne beaucoup à l’étranger, travailler avec d’autres gens. Cela n’empêche pas les fidélités, les gens que j’aime bien retrouver mais c’est intéressant de composer une équipe en fonction du film.
Est-ce que vous privilégiez les filtres, les effets de tournage par rapport aux effets qui peuvent être faits en post-production ?
Non pas du tout. L’étalonnage est pour moi la deuxième moitié à part égale de mon travail, comme le tirage en photo. Cartier-Bresson est important mais son tireur l’est tout autant.
Par contre je ne crois pas une seule seconde à cette escroquerie de dire qu’on fait tout après. C’est absolument faux. On ne fait rien après. On prépare la post-production pendant le tournage. Par exemple sur le dernier film de Resnais j’ai fait quelque chose de vraiment très poussé sur les couleurs – et vraiment assez audacieux, je crois – et je composais pendant le tournage en pensant au travail des couleurs qui aurait lieu en post-production, avec l’étalonnage numérique. Je ne fais pas souvent d’étalonnage numérique, mais là c’était vraiment très approprié.
De même, dans L’Heure d’été il y a certes un traitement sur le développement qui désature les couleurs mais aussi un travail à la prise de vue. C’est un mélange des deux : filtrer beaucoup plus froid au tournage pour avoir des couleurs moins riches et désaturer au labo pour avoir petit à petit ce sentiment de l’hiver. Ce sont des choses qui s’accompagnent. Comme je savais qu’on allait ramener beaucoup de contrastes en post-production, j’ai travaillé une image douce à la prise de vue pour que la désaturation ne soit pas trop étouffante par la suite ; et que ce ne soit pas trop stylisé. Je ne voulais pas d’une image graphique en noir et blanc. Je voulais que cela reste sensuel et pas juste beau.
L’essentiel, 80% de l’intérêt d’une image, se fait à la prise de vue, mais en gardant en tête les possibilités qui seront permises après.
Les nouvelles technologies, les caméras HD, semblent donner de plus en plus de place à la post-production, avec par exemple la séparation des balances choisies au tournage sur des métadonnées à part permettant de complètement transformer l’image par la suite…
Oui, mais on peut faire cela aussi en film si on veut. On peut travailler sur des pellicules très douces, éclairées de façon neutres en se disant qu’on pourra faire quelque chose d’autre après… mais finalement on ne le fait pas parce que tout le monde s’est habitué à cette image pendant tout le temps du montage. Et cela fait des films très neutres et ennuyeux, qui n’ont pas d’ambition de cinéma.
Je pense que les outils modernes sont intéressants parce qu’ils sont différents du film. Je vois la même différence entre la HD et le film que celle qu’il y a entre la peinture à l’huile et l’acrylique. On n’est pas sur le même registre et c’est formidable dans les deux cas. L’huile c’est l’impression, le sensuel, comme le film. L’acrylique c’est plus l’« effet », l’agressivité de la couleur, la texture lisse. C’est les impressionnistes contre le pop-art. Cela raconte des choses passionnantes dans les deux cas.
Est-ce que vous apercevez dans la HD des solutions à des expérimentations que vous vouliez faire sur des films, ou un champ d’expérimentations qui peut s’ouvrir sur vos propres recherches formelles ?
Oui, potentiellement il y a un champ d’expérimentation très vaste à explorer. Mais je ne me suis pas encore penché sur la question. J’ai une réputation d’être très fort en technique, en labo et tout cela, mais en réalité je suis très mauvais en technique. Elle ne m’a jamais intéressé. C’est toujours l’imaginaire qui pilote donc cela veut dire qu’il faut un réalisateur, un univers. Après, c’est en commençant à creuser l’imagination que je trouve des solutions techniques ; et c’est cela qui est passionnant.
La diffusion : cinéma, DVD, télévision
Comment est-ce que vous vous investissez dans la diffusion, sur le suivi des copies par exemple ? Vous aviez parlé d’une avant-première de Clean, à Taipei je crois, dont la qualité de la copie avait été assez… surprenante ?
Mon travail va jusqu’au rendu des copies et je vérifie tout jusqu’au bout, toutes les parties étalonnage jusqu’à la fabrication des copies mais également du transfert en vidéo destiné à la diffusion à l’antenne ou à la fabrication des DVD. On ne fait pas le même étalonnage pour le film en salles et pour le DVD ; on est obligé de réajuster les images.
Je travaille pour les gens qui vont au cinéma, qui payent leur place. Je suis ravi qu’on bascule vers la distribution numérique parce que je pense que la qualité de l’élément livré aux salles va être bien meilleure, beaucoup plus fiable. On sait bien que la fabrication photochimique est très complexe, surtout en couleurs, et qu’il y a beaucoup de malfaçons. Il y a un risque qu’à Montélimar la copie ne soit pas aussi belle que sur les Champs-Elysées. Par contre le DVD qu’on achète à Montélimar sera le même qu’aux Champs-Elysées. On s’en approchera avec la diffusion numérique dont la qualité est vraiment exceptionnelle aujourd’hui. L’élément qui sera livré sera le même partout. Pareil pour les ventes à l’étranger.
C’est cela qui m’avait hérissé avec Clean. Les copies tirées pour l’étranger avaient visiblement été mal tirées ou développées dans des bains trop vieux – parce qu’on avait surveillé et contrôlé les inters à partir desquels sont tirées les copies. Après quelqu’un s’est dit : « Pour Taïwan, c’est bon… » et je ne comprends pas pourquoi. Je n’ai jamais aimé l’idée qu’on garde les plus belles copies pour les avant-premières parisiennes. Je ne vois pas pourquoi tout le monde n’aurait pas la plus belle copie. Avec la projection numérique, je pense qu’il y aura quelque chose de plus démocratique.
Est-ce que vous suivez les diffusions télé, qui sont parfois des massacres ?
La diffusion ou la projection, je n’y peux plus rien. Mais oui ils massacrent vraiment, sans même parler des coupures publicitaires. Je refuse de m’occuper des demandes de recadrage des films en Scope. Cela ne me gêne pas du tout si TF1 veut passer le film recadré. Ils font du Pan & Scan, recadrent à gauche à droite quand il y a des éléments à aller chercher…. c’est leur logique.
Mais c’est aussi celle du service public qui demande de plus en plus la même chose… Par exemple France 2, qui est co-producteur du film, a demandé à recadrer Un conte de Noël. Arnaud et moi, on s’y est absolument opposé ! Et France 3 avait fait la même demande pour Cœurs.
Les chaînes diffusent aussi toutes beaucoup plus clair. Leur obsession est que si c’est trop sombre, les gens vont zapper et chercher ailleurs. Arte dit exactement la même chose : ils m’ont toujours demandé d’éclaircir des étalonnages trop sombres, comme sur Pola X de Leos Carax par exemple.
Travailler aux États-Unis
Pour terminer, une question sur vos tournages américains, et notamment sur la place accordée au chef opérateur. On entend souvent que le DP (« director of photography ») bénéficie d’une considération plus importante et que les moyens qui lui sont accordés – pas seulement financiers mais sur le temps qui lui est accordé pour préparer le film – sont plus importants.
Il y a la même diversité de films aux États-Unis qu’en France. Un film de Francis Veber n’a rien à voir avec un film d’Abdellatif Kechiche. Ce sont des familles différentes, des budgets et façons de faire différentes.
Ce qui m’intéresse aux États-Unis – mais pas spécialement aux États-Unis –, c’est de travailler avec des auteurs et des projets intéressants. Ici on appelle cela cinéma d’auteur, et cinéma indépendant aux États-Unis. Ang Lee ou Sean Penn sont dans cette logique-là. Il y a le même goût du cinéma.
D’une façon générale, le chef opérateur est bien mieux respecté qu’ici. Mais cela vient de la politique des auteurs qui a dévalué le travail des collaborateurs, y compris du scénariste. Cela a créé des malentendus parce que cela ne venait pas de ces fameux auteurs. Truffaut comme Rohmer ont toujours été redevables à Néstor Almendros. Ce qui a été théorisé de l’extérieur a donné l’impression que tout était contrôlé par une personne, ce qui est absolument faux. C’est un travail collectif, certes orchestré, mais quand même collectif. Des gens comme Resnais le disent tout le temps.
En France on est considéré comme un technicien talentueux alors qu’aux États-Unis on nous voit vraiment comme un artiste. Mais je retrouve la même exigence et le même désir de cinéma. Il y a dans ces deux pays une très haute considération du cinéma et nous sommes les deux derniers pays occidentaux à être de vraies nations de cinéma, depuis sa naissance. D’ailleurs quand le mot cinema est employé aux États-Unis, cela a vraiment de la noblesse, cela veut vraiment dire haute idée du cinéma.