James Ivory / Ismail Merchant

Du 15 janvier au 15 février 2020

Merchant-Ivory, tendresse et cruauté

Ce qui frappe d'abord, c'est la fascination qu'exercent ces films : sous des dehors classiques, ils sont traversés d'une force subversive souterraine, à l'instar de Maurice (1987), un des premiers films gay mainstream avec une fin heureuse. En second lieu, leur fidélité. À leurs auteurs fétiches (Henry James, E. M. Forster, Kazuo Ishiguro...) ou à leurs collaborateurs. À leurs acteurs et actrices que souvent ils révèlent : Shashi Kapoor, Maggie Smith, Helena Bonham Carter, Emma Thompson, Anthony Hopkins, James Wilby, Hugh Grant...

« A Passage to India »

Qui aurait pu prévoir que ces trois personnalités, nées sur trois continents différents, allaient s'entendre ? James Ivory est américain, fils d'un propriétaire de scierie, Ismail Merchant est indien, venu à New York pour ses études, et Ruth Prawer Jhabvala est allemande, d'origine polonaise, mariée à un Indien. Leur rencontre se fait à l'intersection de la littérature, du cinéma et de l'Inde : Ivory et Merchant se rencontrent à New York grâce au documentaire d'Ivory sur les miniatures mogholes et rajput (The Sword and the Flute) et leur premier projet est l'adaptation d'un roman de Ruth Prawer Jhabvala, The Householder (1963). Tourné à Delhi, il constitue un hommage à Satyajit Ray, qui les aidera à monter le film et en produira la musique. Ray sera d'ailleurs le compositeur de Shakespeare Wallah (1965). L'Inde et son passé colonial resteront un motif récurrent, dépourvu de nostalgie, mais imprégné de toute son ambiguïté (Autobiography of a Princess en 1975, Chaleur et Poussière en 1983).

Trompeuses miniatures

À première vue, les films d'Ivory pourraient s'apparenter à une simple série de charmantes miniatures, de jolis tableaux du passé. Mais ce serait oublier que certains s'ancrent dans le contemporain (les premiers films de la période indienne, Jane Austen in Manhattan, Slaves of New York). Si Ivory apporte un véritable soin au décor – il se destinait dans sa jeunesse à devenir décorateur –, c'est que toute la dynamique de ses films vient en permanence de la tension entre un microcosme refermé sur lui-même et le monde extérieur. Ainsi, ils se passent toujours dans une cellule familiale (ou un substitut), dans un ou deux lieux. Il y a même une certaine ironie dans la façon dont, par exemple, la petite communauté anglaise de Chambre avec vue se reconstitue à l'identique à Florence, puis en Angleterre. Le décor apparaît donc comme un leurre, un vernis qui se craquèle rapidement : Savages symbolise le mieux le statut du décor chez Ivory, passant, d'un plan à l'autre, du neuf à la ruine. Le décor soigné sert de contrepoint au regard caustique, souvent tendre (Roseland), parfois cruel (Quartet), mais jamais moralisateur, qu'Ivory pose sur ces microcosmes souvent montrés dans un état d'innocence, au sens d'ignorance du monde extérieur et du changement.

Affirmer son credo

Dans ces univers fermés, d'apparence confortables, se trouve toujours un personnage apparemment adapté, mais pourtant en porte-à-faux, qui se révèle par sa rencontre avec un élément extérieur. Cette rencontre et cette confrontation passent essentiellement par le langage : l'enjeu des films d'Ivory est de savoir si le héros ou l'héroïne sera capable d'exprimer son être vrai, son credo, tel George Emerson dans une scène hilarante de Chambre avec vue. Les dialogues deviennent un champ de bataille où s'affrontent en permanence une langue policée par une bonne éducation, et des irruptions de paroles vraies. Ce thème fonde toute l'œuvre d'Ivory et ce dès The Householder, où le jeune marié se débat dans une union malheureuse tant qu'il s'ingénie à jouer la comédie du chef de famille, avant de tomber le masque, et de trouver les mots vrais pour exprimer son amour à son épouse. C'est la trajectoire de Lucy dans Chambre avec vue pour parvenir à ne plus se mentir à elle-même après avoir menti à tous, de Maurice pour affirmer sa sexualité et son désir, de Margareth Schlegel pour abandonner ses réflexes conservateurs dans Retour à Howards End. Si ces personnages vrais atteignent la grâce, Ivory ne délaisse pas pour autant les autres, prisonniers de leur carcan, à qui les mots restent en travers de la gorge et dont la vie est un désert mélancolique (le majordome Stevens dans Les Vestiges du jour).

Corps en liberté

Avant que le langage puisse (se) libérer, les élans du cœur passent par le corps qui, soudain, échappe à la discipline. À cet égard, il faut noter la place de l'art dans les films d'Ivory : le théâtre (Shakespeare, Jane Austen), la peinture (Chambre avec vue, Surviving Picasso, Quartet), ou la musique. Mais ces arts n'ont pas le même statut libérateur, les deux premiers ont tendance, au contraire à figer les corps. C'est la musique seule, et en particulier le piano joué pour soi-même ou de façon informelle, qui permet aux corps d'exprimer par le jeu ce que la société refuse d'entendre, comme la révolte larvée de Lucy (Chambre avec vue). À l'art répond la nature, qui apparaît toujours comme une échappée arrachée à l'étouffement des intérieurs, où les corps pour un instant retrouvent une liberté de mouvement absolue : telle cette scène de baignade et de course de Freddy, George et Mr. Beebe, nus dans la forêt (Chambre avec vue). Les bois et l'eau sont les décors privilégiés des élans amoureux irrépressibles, volés loin des regards. Tout comme le secret des chambres abrite les amants, corps de femmes, corps d'hommes, nus, enfin révélés au-delà des mots, des conventions, et du monde.

Wafa Ghermani

Films réalisés par James Ivory

Programme de courts métrages

Autour de James Ivory et Ismail Merchant

Rencontres et conférences

Master class de James Ivory
Présentée par Frédéric Bonnaud et Wafa Ghermani
Sa 18 jan 14h30   HL

Partenaires et remerciements

James Ivory et Melissa Chung, Cohen Film Collection, Cohen Media Group, British Film Institute National Archive, George Eastman House, Carlotta Films, Diaphana Distribution, Films Sans Frontières, Park Circus, Walt Disney Company, Warner Bros Picture France.

Avec le soutien de

Cohen Media Group