Réalisateur discret et rare, Philippe Faucon a pourtant imposé en moins de deux décennies une patte originale qui en fait un metteur en scène précieux dans le cinéma français. Marqué par une certaine conscience politique et sociale, l’univers du cinéaste a toujours été peuplé de personnages à la marge ou en rupture. Pourtant, loin du film à thèse sociale, Muriel fait le désespoir de ses parents est aussi un film solaire et généreux, aux accents rohmériens, où chaque mot de dialogue est vecteur d’une sensualité proche de l’évidence.
Muriel a vingt ans environ et a le beau visage de l’actrice Catherine Klein, à la fois d’une douceur et d’un mutisme déconcertants. La jeune femme cultive le secret et la franchise sans pour autant en faire un paradoxe, ce qui déstabilise quelque peu ses parents lorsqu’elle leur annonce avec sérénité qu’elle pense préférer les filles aux garçons et qu’elle n’offre pas d’autre choix que d’être acceptée comme elle est. En quelques scènes seulement, la caméra de Philippe Faucon pose très clairement les enjeux du film. Pas seulement un film militant sur une adolescente qui fait le lent cheminement de son acceptation, Muriel fait le désespoir de ses parents, à l’opposé de ce que son titre pourrait laisser entendre, n’est pas non plus un film sur le rejet ou la marginalisation mais plutôt celui d’une quête à la marge où les corps se rencontrent et s’étreignent dans l’espoir de mieux cerner cette terre nouvellement découverte et pourtant totalement insondable qu’on nomme le désir.
Autour de cette quête, deux univers s’opposent : d’un côté, la famille qui n’est jamais synonyme d’épanouissement affectif et menace d’exploser littéralement à chaque instant, de l’autre, les amis avec qui on se teste, on repousse certaines limites pour mieux trouver sa propre vérité. La mère (excellente Marie Rivière, à peine échappée d’un film de Rohmer) vit l’homosexualité de sa fille comme une trahison tandis que le père déverse son aigreur (et n’apparaît jamais dans le même plan que sa femme) sur les enfants qui ne savent plus quel camp choisir, pris en otage par le maître-mot culpabilité. À défaut, Muriel s’est donc reconstituée une famille de cœur : la piquante Nora, joueuse et impulsive, dont on ne sait plus si elle est la meilleure amie ou l’amante potentielle, et le petit copain de celle-ci, Fred, jeune black pétillant et sensuel qui semble ne pas avoir grand chose à faire des étiquettes sexuelles. Et c’est bien ce qui fait la belle modernité de ce film tourné en 1995 et sorti en décembre 1997, quelques années seulement après les premiers grands éclats du cinéma français sur le thème de l’homosexualité (Les Nuits fauves, Les Roseaux sauvages). En effet, Philippe Faucon se refuse ici à toute catégorisation et ne se pose finalement pas la question du mot à rapprocher d’un désir : homosexuel, bisexuel, hétérosexuel, peu importe tant que le désir est là et porte à la rencontre et au partage.
Pourtant, des mots, il en est souvent question dans Muriel (…). Les personnages ne cessent jamais de parler, de se questionner, de répondre aux autres par d’autres questions, jouant continuellement avec toute une gamme de sons qui ne font que masquer l’évidence du langage du corps. En contrepoint, les étreintes ont ce quelque chose de naturel et spontané, loin de la souffrance à laquelle l’intolérance condamne. Le réalisateur filme avec une belle aisance les corps sur la plage ou dans une petite chambre sombre. S’il ne filme jamais l’action en elle-même, il capte cette vérité à laquelle chaque personnage semble s’exposer en dévoilant sa nudité. Et comme dans ses autres films, du très beau Samia (sur les premiers pas indécis d’une jeune beurette dans la vie active) à La Trahison (sur les harkis pendant la guerre d’Algérie), le corps a toujours quelque chose de politique. Sa présence même et la mise en rapport de celui-ci avec les autres constituent une affirmation voire une revendication. Ce n’est donc pas un hasard si dans tous ses films, et plus particulièrement celui-ci, le métissage et le mélange des genres ont la part belle quitte à fâcher ceux qui se sentent menacés par cette remise en question des repères traditionnels.
L’édition que propose aujourd’hui Outplay est une belle opportunité pour redécouvrir ce film aussi discret que généreux. Reste à savoir quand d’autres films de Philippe Faucon connaîtront à leur tour les joies de l’édition DVD, à l’image du très beau Samia, sorti en 2001 en France, dont le personnage principal est en quelque sorte la petite sœur de Muriel dans sa détermination à vivre sa vie en marge des diktats. Dans le cinéma français, le réalisateur reste en tous cas l’un des plus beaux portes-paroles d’une ode à la liberté et à l’insoumission. Et c’est suffisamment rare pour le souligner.