La culture fait souvent profil bas en période électorale. Il est de coutume de draguer les fameux « sujets qui préoccupent les Français », où l’on trouvera plus volontiers le chômage, le pouvoir d’achat, l’avenir des jeunes – et c’est bien compréhensible. Le mot « préoccuper » est peut-être en fait mal choisi : si tant est qu’ils ne sont pas préoccupants, les arts en sont-ils moins importants que la viande halal ou les faits divers ? Dans le quasi-silence général des candidats, nous faisons un point, le plus neutre possible, sur les propositions qui concernent le cinéma et les arts, en trois thèmes : les institutions, la diffusion des œuvres (et la question de plus en plus épineuse de la protection des droits d’auteurs) et l’accès à la culture.
On pourrait se surprendre de voir ainsi baïonné un thème qui entretient pourtant des liens forts avec l’histoire de la Cinquième République. En effet, en politique française, il ne s’agit pas simplement de la culture, il s’agit de « l’exception culturelle », et d’un idéal qui vit naître il y a longtemps tout le système de subventions que nous connaissons aujourd’hui. C’est ce même système, incarné par le Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC), que critiquaient Pascale Ferran et son « club des treize » il y a cinq ans. Elle aussi se plaignait alors du manque de temps consacré à la culture dans la campagne électorale. Sa voix ne semble pas avoir été tant entendue du côté des candidats, mais quelques propositions sont bien à découvrir dans les programmes.
Les réformes institutionnelles
Malheureusement, un flou quasi total entoure leur concrétisation, dû à l’inexistence d’explications de la part des candidats – encore une fois, l’occasion ne leur est jamais proposée. L’on peut citer l’Agence Culture France, proposition de Dominique de Villepin récupérée par Nicolas Sarkozy, dont il est impossible de connaître le rôle si ce n’est une mission de promotion de la culture française à l’étranger. François Bayrou, lui, parle de conventions de développement culturel entre l’État et les collectivités locales sur cinq ans. S’agit-il d’objectifs à atteindre ? À quelle échelle de collectivité ?
Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et la nomination des dirigeants de l’audiovisuel public sont, pour plusieurs candidats, sur la sellette. François Hollande et Eva Joly souhaitent les réformer, tandis que Jean-Luc Mélenchon veut remplacer le CSA par un Conseil National des Médias où il compte faire siéger également des professionnels de l’audiovisuel et des usagers. Logiquement, le système de censure est remis en question par les mêmes : Eva Joly veut abaisser l’âge d’interdiction aux mineurs de 18 à 15 ans et appeler des professionnels à prendre part au comité de classification.
Chez Marine Le Pen, on trouve une proposition assez conséquente sur laquelle, encore une fois, il est malheureusement difficile d’obtenir des détails. Il s’agit d’une refonte visant à réinsérer le public au cœur du système de subvention de la culture, touchant donc de facto le cinéma par l’intermédiaire du CNC. La candidate du Front National souhaite la création d’associations du public qui siègeront au conseil d’administration des institutions ; quant aux subventions, elles seront désormais liées aux recettes et les structures devront prouver que leurs contributions aboutissent à des succès publics. On peut alors se questionner sur l’avenir de nombreuses aides sélectives comme l’avance sur recettes. Toutefois, très concernée par la promotion du patrimoine français, et notamment favorable à toute une politique de quotas de diffusions, Marine Le Pen est la seule à se prononcer précisément sur la subvention de la production cinématographique et notamment sur l’avance sur recettes, qu’elle souhaite plus transparente et équitable. Les collèges n’étant déjà pas anonymes, on peut se demander ce qu’elle entend par transparence (publication des délibérations ?), quant à l’équité, s’agirait-il d’un passage à des enveloppes uniques ? Pas de réponse plus précise.
Philippe Poutou propose un programme culturel assez fourni, auquel nous reviendrons notamment sur la question de l’accès aux œuvres. En terme d’institutions et administration de la culture, il est surtout le seul candidat à proposer une grande refonte du statut des intermittents (Mélenchon parle, certes, de le « renégocier »), abrogeant la loi de 2003 pour revenir à une indemnisation de 12 mois pour 507 heures sur 12 mois – pour rappel, la réforme de 2003 a institue une indemnisation de 8 mois pour 507 heures sur 10 mois.
HADOPI et la question du partage des œuvres
C’est la patate chaude que ce dernier quinquennat laisse entre les mains des candidats et que ces derniers n’ont de cesse de se relancer les uns aux autres. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’incertitude est de mise quant au téléchargement, pratique plus assimilable à du partage organisé qu’à du vol, aujourd’hui trop généralisée pour envisager de pénaliser tous les utilisateurs – ce qu’aucune loi n’a réussi à mettre en place de toutes façons. Rappelons-nous la petite maladresse de François Bayrou face à quelques personnalités du web lors d’une table ronde en début de campagne, résumant assez bien la perplexité générale : « Je crois que les gendarmes ne courront jamais plus vite que… (il hésite) les libertaires. Je n’ai pas dit voleurs, j’ai dit libertaires !» L’importance de ce thème en tant que sujet de société a au moins donné lieu à des déclarations de la part de tous les candidats.
La totalité des candidats, à l’exception du président sortant, souhaite l’abrogation de la Haute Autorité pour des modèles alternatifs qui, eux, varient. Ils sont d’abord nombreux à conserver, sciemment ou non, une position floue : la loi HADOPI, pour François Hollande, Jean-Luc Mélenchon et François Bayrou, sera abrogée, avec des politiques voisines d’encouragement de l’offre de téléchargement légal (et même, dans le cas de Mélenchon, une « plate-forme publique de téléchargement » peu détaillée : médiathèque publique en ligne, quel catalogue, quels tarifs ?), mais un flou sur la légalisation du partage. Du côté de François Hollande, les derniers mois l’ont vu dire tout puis son contraire sur la question, bien qu’il soit maintenant arrêté sur une « refonte » d’HADOPI au profit d’une nouvelle loi qui semble plutôt axée sur la lutte contre les plate-formes de téléchargement illégal que contre les internautes.
Plusieurs candidats, ensuite, défendent un remplacement de la loi HADOPI par le principe de la licence globale. Il s’agit de légaliser le partage en instituant une rémunération des artistes par l’intermédiaire d’une taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet : même s’il a été maintes fois démontré (et notamment par le Parti Pirate français, qui n’engage aucun soutien aux présidentielles mais compte présenter des candidats aux législatives) que ce système est incontrôlable pour des raisons techniques évidentes, plusieurs candidats s’y abritent faute de mieux : Marine Le Pen, Jacques Cheminade, Nicolas Dupont-Aignan. Jean-Luc Mélenchon et Philippe Poutou s’en inspirent dans une version mettant également à contribution les opérateurs de télécommunication, le marché publicitaire et/ou le chiffre d’affaires des majors. Le candidat anticapitaliste ajoute à cela un statut des artistes qui les mettrait à l’abri de la précarité : on ne connaît pas le détail (si ce n’est la question des intermittents), mais on repense à l’idée, originale, de Dominique de Villepin qui souhaitait des exonérations d’impôts pour les professions artistiques. Eva Joly ose la légalisation pure et simple du partage et défend le mécénat global, une déclinaison de la licence globale où l’internaute choisit mensuellement à qui il reverse sa contribution – modèle critiqué pour son utopisme mais pas dénué d’intérêt. Nathalie Arthaud, enfin, ne se prononce pas vraiment sur le partage puisqu’elle propose la gratuité de l’accès aux films et à la musique via, modèle communiste oblige, un service public.
L’accès à la culture
Même si quelques élus vieillissants laisseraient parfois penser que la classe dirigeante continue de voir Internet comme un jeu vidéo bizarre, cette présidentielle est la première à amener le thème de l’accès au haut débit, en la personne des deux candidats favoris : François Hollande parle d’une couverture de 100% du territoire d’ici 2022, et Nicolas Sarkozy d’ici 2020.
Pour d’autres, l’accès à la culture est d’abord une question relevant de l’éducation. C’est ce que défend François Bayrou, qui parle de la culture comme « partie prenante du redressement de la France ». Il souhaite ainsi placer l’enseignement artistique dans les programmes scolaires (il l’est déjà, mais on imagine volontiers qu’il souhaite lui donner plus d’importance), à l’instar de Jean-Luc Mélenchon. Pour l’un comme pour l’autre, le détail de ce retour en force dans les programmes scolaires est introuvable.
Eu égard, peut-être, à la bonne santé de la fréquentation dont toute la classe politique s’est récemment félicitée (allant même jusqu’à voir en l’Oscar français une récompense des États-Unis à la France), les mesures d’accès à la culture survolent le cinéma et vont en fait plutôt au livre (prix fixe pour le Front de Gauche) ou aux musées. Philippe Poutou est de loin le plus radical : il fait du droit à la culture un cheval de bataille (inhabituel à l’extrême-gauche, voir Nathalie Arthaud) et promet la gratuité d’accès aux spectacles, aux études artistiques, aux musées. Dans sa grande croisade populiste contre les « bobos », Marine Le Pen reproche au budget de la culture d’être trop parisien et voudrait s’attaquer à ce particularisme. Dans le cas du cinéma, on est tenté de s’en inquiéter : la centralisation de la production à Paris la menace-t-elle de voir ses subventions diminuées ?
Même si tous les candidats ont un volet « Culture » dans leur programme, il faut, pour se faire une opinion, zigzaguer sans relâche pour en découvrir les détails, ou pour avoir une idée de l’historique de leurs prises de position. C’est pourquoi, face aux propositions, il n’y a qu’une interprétation laconique à tirer et, très vite, des questions à poser – malheureusement pour beaucoup d’entre elles, toujours sans réponse. Comme un pied de nez à l’inexistence du sujet dans les débats, les dix passaient cette semaine chez Allociné qui les invitait à citer leurs cinq films favoris. L’occasion de s’amuser (ou non) de voir Nicolas Sarkozy évoquer La Passion de Jeanne d’Arc, Marine Le Pen s’exalter sur Braveheart, François Bayrou sur les classiques franchouillards et François Hollande entre la Nouvelle Vague de Ma nuit chez Maud et les fresques hollywoodiennes (Spartacus). L’occasion, aussi, d’en parler bientôt plus sérieusement ? Il ne reste plus beaucoup de temps.