Julien Maury et Alexandre Bustillo, scénaristes et réalisateurs, déclament avec À l’intérieur leur amour du cinéma de genre. Derrière les maladresses d’un premier film, une telle volonté d’apporter du sang neuf au cinéma d’horreur français est plus que louable.
Comment avez-vous élaboré le scénario du film ?
Alexandre Bustillo : J’avais une amie qui était enceinte, et qui habitait dans un petit pavillon de banlieue. Je me suis dit que ça pouvait être assez flippant pour une jeune femme enceinte de se retrouver un soir seule chez elle, avec quelqu’un qui viendrait tourner autour de sa maison pour on ne sait quelle raison. C’était vraiment l’idée de base du scénario. La première idée était de confronter l’héroïne à un tueur en série qui traquait les femmes enceintes pour se nourrir de leur placenta. C’était une idée rigolote, mais qui à l’arrivée retombait un peu dans les travers des films d’horreur classiques, les slasher movies comme on a l’habitude d’en voir. C’est pour cela que j’ai rapidement changé le sexe du méchant, qui est devenu une méchante. Et là l’histoire découlait vraiment d’elle-même et était un peu plus originale qu’un simple « monstre » traquant une femme esseulée.
Mettre en danger une femme enceinte, c’est assez subversif, c’est un tabou…
AB : Les femmes enceintes, c’est plutôt rare dans les films d’horreur. On les trouve plutôt dans les films fantastiques, comme Rosemary’s Baby. Nous, on voulait raconter une histoire vraiment ancrée dans le réel, avec une femme enceinte. Ensuite, toute l’horreur du propos et la violence du film ont découlé de cela. On ne s’est pas dit « Prenons un sujet tabou et transgressons-le ».
Pour traiter l’histoire, il fallait de la transgression. Sinon on retombait dans le schéma classique des thrillers. On pouvait traiter le film sans l’ultra-violence graphique qui est la nôtre, mais on retombait dans les thrillers lisses à l’américaine. On voulait faire un vrai film d’horreur, parce qu’on est des vrais fans du genre. On devait donc aller jusqu’au bout.
Vous aviez des références particulières ?
Julien Maury : Dans le film, il y a plein de références, mais plus ou moins conscientes. Beaucoup de références ont été digérées, parce qu’on a grandi avec ce cinéma-là et on s’en est rendus compte après coup. Notre influence majeure, c’est Halloween, de Carpenter, à la fois pour le côté pavillon de banlieue super classique dans lequel va se déchaîner une violence inimaginable, et aussi pour le mutisme du personnage, qu’on retrouve un peu dans le personnage de Béatrice Dalle. On a aussi fait circuler dans l’équipe le film Mort un dimanche de pluie de Joël Santoni. C’est une manière de faire du ciné qu’on n’a plus trop l’habitude de voir. Il aborde des sujets tabous de manière frontale et sans concession.
N’avez-vous pas rencontré trop de difficultés à monter votre film dans le contexte français ?
AB : On a vraiment eu la chance de trouver des producteurs avec la première version de scénario, des producteurs assez courageux pour ne pas nous brider. Sur le plateau, on était vraiment libres. Mais c’est vrai que c’est très dur de monter des films de genre en France, car le cinéma est majoritairement produit pas les chaînes de télévision, qui ne sont pas trop friandes des films d’horreur. Nous, on a réussi à monter le film en moins d’un an, ce qui est assez exceptionnel.
Le film correspond presque complètement à la vision qu’on en avait. Parce qu’on tourne le film, mais après on le monte, et le montage, c’est une nouvelle écriture. À l’arrivée, on est vraiment contents, parce que c’est notre premier long. On avait un budget d’un peu plus de 2 millions d’euros, ce qui n’est pas énorme pour un film.
Avez-vous trouvé vos interprètes facilement ?
JM : Nos acteurs étaient plutôt contents du côté physique de leur personnage, qui les change un peu de leurs habitudes dans le cinéma français. Béatrice et Alysson se sont senties très à l’aise. Elles se sont préparées en amont avec un entraîneur physique. Il y a un vrai côté ludique dans le fait de faire un film d’horreur. Des acteurs comme Nathalie Roussel et François-Régis Marchasson sont venus nous dire qu’en faisant le film ils avaient retrouvé des sensations de jeu pour lesquelles ils avaient choisi de faire ce métier. C’est presque lié au sentiment enfantin de jouer la comédie, de jouer à mourir, à se maquiller. Je pense qu’ils se sont tous bien amusés.
AB : Pour le rôle de Sarah, on avait quelques jeunes actrices en tête, qui ont refusé le rôle. Ce sont les producteurs qui ont pensé à Alysson Paradis, qu’on ne connaissait pas trop. Pour le rôle de la Femme, on tenait vraiment à Béatrice Dalle, elle est vraiment à part. On rêvait de l’avoir, mais on pensait qu’elle était vraiment intouchable. Nous, on sortait de nulle part, on voulait juste faire un film d’horreur sans message, donc on pensait qu’on n’avait aucune chance. Mais qui ne tente rien n’a rien, et ça a marché. En attendant sa réponse, on a eu beaucoup de refus de la part d’autres actrices. Avant que Béatrice nous dise « oui », on n’était pas sûrs de trouver notre actrice. C’est marrant, personne ne voulait persécuter une jeune fille enceinte (rires).
Était-il nécessaire d’expliquer ce qui motive la meurtrière ?
AB : On ne voulait pas forcément donner une explication aux agissements de la Femme. Selon moi, ce n’était pas nécessaire, c’est un plus. Cela n’enlève rien au mystère de l’histoire. Personnellement, en tant que spectateur, si on ne m’explique pas, cela ne me dérange pas.
JM : L’histoire ne repose pas non plus là-dessus, ce n’est pas une révélation, un vrai twist. On ne s’étend pas dessus.
Quel rôle jouent les images des émeutes en banlieue que l’on croise dans le film ?
AB : La référence aux émeutes, ce n’est pas vraiment un message. Pour nous, l’image des banlieues en feu qu’on voit à un moment donné, c’était une façon de montrer ce qu’est la vraie violence actuellement. On savait que certaines personnes étaient susceptibles de nous attaquer sur la violence du film, parce qu’on essaie d’aller jusqu’au bout, mais nous on n’a aucun problème avec la violence fictive au cinéma. Pour nous, éventrer une femme enceinte au cinéma ne nous pose aucun problème de conscience. Jamais on ne s’est dit qu’on transgressait quelque chose. C’est du cinéma, donc tout va bien. La seule image violente du film, pour nous, c’est justement ces trois mecs qu’on voit dans la rue jeter des cocktails Molotov et tout ce qui en découle. C’est Béatrice Dalle qui disait, quand on tournait les scènes les plus abominables, que de toute façon ce ne sera jamais aussi trash que le 20h. Ça reste du cinéma.
Mais que répondez-vous à ceux qui critiquent la violence de votre film ?
AB : Plus une époque est violente, plus je pense que l’art rattaché à cette époque sera violent. Dans les années 70, le film de genre américain a donné ses plus beaux fleurons, mais c’était aussi les films les plus incroyablement énervés, car ils correspondaient à la guerre du Viêt-Nam. Maintenant, les Américains sont un peu en train de se faire un Viêt-Nam n°2 en Irak, donc le cinéma de genre américain n’a jamais été aussi gore, énervé et sans concession, avec des films comme Hostel, par exemple. Quand vous voyez Hostel, vous avez l’impression de voir Abu Ghraib ou Guantanamo. C’est ouvertement inspiré de notre époque. L’art est un miroir de nous-mêmes, de notre société et on vit dans un monde ultra-violent. À mon avis, notre film n’arrive pas à la cheville de la réalité. En deux mois de préparation, on a eu la preuve que la réalité dépassait la fiction avec deux faits divers plus trash que la fin de notre film.
JM : C’est vrai qu’il y a quelques films qui abordent des sujets assez tabous de manière frontale. Il y a Fabrice du Welz qui prépare Vinyan, un film qui revient sur l’après-tsunami en Thaïlande, sur la disparition d’enfants. Il y a aussi Frontière(s) de Xavier Gens qui arrive, qui parle de néo-nazis. Ce sont des sujets assez difficiles qui sont traités sans concession. C’est certainement là le reflet d’une époque ultra-violente.
La lumière du film est très particulière…
AB : On a découvert par hasard le travail de Laurent Bares, par le biais d’un clip de Noir Désir, qui s’appelle Lost. C’était vraiment ce qu’on recherchait, partir d’une lumière très réelle, qui ensuite déviait plus ou moins vers une lumière un peu rongée, très proche du conte, une lumière beaucoup plus chaude. Il a vraiment fait un boulot incroyable. Certaines personnes n’aiment pas cette photo, mais pour nous c’était un vrai parti pris. Avec le montage, c’était pour nous l’un des postes les plus importants. On avait mille références à lui soumettre, et lui aussi a apporté sa touche. Au début, on voulait vraiment montrer le quotidien de Sarah sous un angle un peu triste, déprimant, comme si sa dépression contaminait l’image. Ensuite, avec les meurtres, le sang versé, on voulait vraiment que l’image se réchauffe au fur et à mesure pour revenir à la fin in utero, avec une couleur très chaude proche du ventre maternel, avec la fin presque fantasmagorique, mythologique. On n’est plus du tout dans le réel.
JM : On avait aussi décidé que, dans les décors, il n’y aurait pas de rouge, que le seul rouge serait le vermillon du sang. La lumière a donc également été axée sur ce point.
Le costume de Béatrice Dalle ressemble à une robe gothique et ses premières apparitions sont presque irréelles. Pourquoi ?
AB : La référence pour le personnage de Béatrice, c’était Deborah Kerr dans Les Innocents, qui est aussi un de nos films préférés, qui est peut-être le plus flippant de l’Histoire du cinéma. On voulait une vraie atemporalité dans ses vêtements, qu’on se demande qui est cette femme qui arrive en robe gothique et en corset. On voulait aussi faire penser à Pinhead, le méchant à tête de clou de Hellraiser, avec un côté « femme sortie des ténèbres », sans foi ni loi, qui vient chercher le bébé d’une femme enceinte. On recherchait l’amalgame de tous ces looks-là, et on voulait aussi qu’elle ait un vrai côté héroïne de giallo, à la Dario Argento, Mario Bava, où les meurtriers sont en général habillés en noir, gantés de noir et tuent à l’arme blanche. On voulait qu’elle soit un mix entre ces différentes influences. On ne voulait pas qu’elle soit habillée comme une femme de son âge à notre époque, mais qu’elle ait quelque chose de totalement décalé.
JM : On voulait vraiment lui conférer un côté fantomatique, comme si elle hantait la maison de Sarah. Sa première apparition en était vraiment l’illustration. On voulait que ce soit une créature sortie des ténèbres. C’est pour cela qu’elle apparaît à contre-jour, dans les flashs, sous la pluie. Ses premières apparitions sont caractérisées par le flottement. Elle est là sans être là, c’est une espèce de menace diffuse qui plane sur la pauvre Sarah. Quand elle la regarde dormir, cela relève de la même idée, elle est présente mais elle n’agit pas, c’est assez flippant. On ne voulait pas la faire rentrer bille en tête pour aller massacrer Sarah tout de suite. On adore aussi le fantastique, c’était une manière de le faire entrer dans le film.
Pourriez-vous être tentés par l’appel des États-Unis ?
AB : On va continuer à faire des films de genre, c’est sûr, mais on aimerait que ce soit en France. On n’a pas la prétention de faire bouger les choses ou quoi que ce soit, c’est le public qui décidera. Si le film de genre doit renaître de ses cendres en France, ce sera uniquement par un succès public. Mais on espère vraiment arriver à convaincre encore des producteurs à miser un peu d’argent dans des films de genre, en France si possible. Je pense qu’on a tout ce qu’il faut en France pour faire des films de genre. Il y a les équipes qu’il faut, les gens en font tellement rarement qu’ils sont motivés. On espère vraiment continuer ici dans cette voie-là.
JM : Les réalisateurs français de films de genre sont tous partis, mais ils vont tous revenir (rires). Comme on disait tout à l’heure, c’est super compliqué en France. Quand on essaye de monter ses propres projets et qu’on n’y arrive pas, comme Éric Valette par exemple, c’est vrai qu’on est soumis à la pression des Américains sur les jeunes réalisateurs. Ils cherchent du sang neuf un peu partout. On n’y a pas échappé, on a reçu quarante scénarios américains en dix jours. Les États-Unis, c’est un fantasme, on a grandi avec des films hollywoodiens, ça fait rêver, mais on n’a pas envie non plus d’y aller pour y aller et de faire un énième film d’horreur, parmi tous ceux qui sortent là-bas. On va essayer de rester en France, on verra bien si on y arrive.
AB : On veut juste apporter notre petite pierre au modeste édifice du cinéma de genre en France, essayer de le faire grimper un peu plus haut au fil du temps. Mais c’est un vrai combat. Aux États-Unis, c’est super cool, c’est comme arriver dans un grand magasin de bonbons, parce que vous avez le choix entre mille projets. D’un autre côté, vous vous dites que ce n’est pas si valorisant, parce qu’ils veulent tout le monde, nous pas plus que les autres. On préfère en « chier », et essayer de rester ici. À l’arrivée, c’est peut-être plus valorisant d’arriver à monter des projets un peu fous en France plutôt qu’aux États-Unis, où c’est plus courant. Et bizarrement, je pense qu’il y a beaucoup moins de liberté d’expression dans un film hollywoodien que dans un film français. Sur le tournage, nos producteurs nous ont foutu une paix royale. Même s’ils venaient tous les jours, ils n’étaient jamais derrière le combo à nous dire de refaire un plan. À Hollywood, généralement, ça se fait comme ça. Si ça ne plaît pas aux exécutifs du studio, ils vous le disent carrément et vous font refaire la scène. Faire du cinéma comme ça, cela ne nous tente que moyennement.
JM : Mais si on n’arrive pas à monter notre prochain film, on dira peut-être oui à l’Oncle Sam. Parce qu’une fois qu’on a goûté aux plateaux de tournage, maintenant c’est super dur de s’en passer et de se dire qu’on va attendre trois ou quatre ans avant de retourner. On n’a qu’une envie, c’est d’y retourner. Si c’est possible, en France. Et si ça ne se fait pas, on répondra peut-être aux sirènes d’Hollywood. Mais on espère que ce sera le dernier recours.
JM : On voudrait créer une sorte d’appel d’air. Ce qui manque au cinéma de genre français, c’est un succès, pour que les producteurs soient un peu moins frileux. C’est dans la quantité que naîtra la qualité, comme aux États-Unis, où il y en a énormément, avec quelques perles au milieu. Ce serait super pour le genre en France.