Petra, brune incendiaire, est mariée à Victor, à la santé fragile et au portefeuille bien fourni. Dans le grand manoir bourgeois, la jeune femme s’ennuie, et ne supporte plus les espionnages de sa belle-mère. Jusqu’au jour où arrive au milieu de ce petit monde froid Alex, l’ami de Victor, l’homme providentiel… C’est là que les choses se gâtent, et que Petra dévoile sa nature profonde. Pseudo-polar érotico-cheap, 13 French Street est un très mauvais film, qui caricature toute l’ambiance étrange qu’il voudrait retranscrire.
13 French Street est adapté du roman éponyme de l’Américain Gil Brewer. Mocky avait déjà porté à l’écran, en 1985, La Machine à découdre, du même Gil Brewer. Mais même en puisant son inspiration dans une œuvre préexistante, le franc-tireur du cinéma français est à bout de souffle. D’abord, parce que l’intrigue de son dernier film est réduite à la portion congrue, et ses rebondissements tout à fait attendus. D’emblée, Mocky se focalise sur le personnage de Petra, dépeinte à l’aide d’une foultitude de clichés : la brune fatale avec tous les attributs de la séduction, fonçant sur sa proie à la vitesse de l’éclair. On reconnaît bien Mocky dans cette ambiance sexuelle provocatrice, sauf qu’elle ne sert en rien son propos. La passion sexuelle dans laquelle Petra entraîne Alex est bien trop filmée pour la charge érotique de l’actrice (Nancy Tate) en elle-même que comme un moteur de l’action. Le thème de la belle plante vénéneuse et calculatrice ne se révèle pas au fur et à mesure de l’histoire, mais est plaqué tel quel sur le corps de l’actrice ; on aimerait qu’elle décolle de ce corps pour offrir davantage d’épaisseur psychologique. L’histoire se résume donc à une machination calculée depuis longtemps par Petra. Le drame qui se noue dans la première moitié du film n’est pas surprenant, d’autant qu’il est porté par des personnages (dont l’interprétation est, sinon mauvaise, très maladroite) englués dans des rôles prototypes : l’opposition facile entre les deux amis, Victor (Tom Novembre) l’homme d’affaires ambitieux, et Alex (Thierry Frémont) le gentil trop honnête, Petra par qui le mal arrive, la vieille mère tyrannique de Victor. Mocky ne parvient pas à nous faire croire en l’amitié de ces deux hommes, qui reste effleurée. Pour toute tentative d’explication de la force de leur relation, le réalisateur s’empêtre dans un flash back ridicule, en noir et blanc. Une scène, qui plus est, dans laquelle les techniciens semblent avoir oublié de rendre un son correct, tant la qualité y est mauvaise : on y apprend que Victor et Alex ont été otages en Irak. Avoir survécu à cette épreuve aurait fait naître chez eux des sentiments profonds, jamais illustrés dans le film. Victor reste même étrangement absent, ce qui donne tout à la fois l’impression d’une facilité scénaristique pour la mise en œuvre des plans de Petra, et une incohérence quant à la relation entre les deux hommes.
Autre écueil, 13 French Street se voudrait dans la lignée des films noirs, et ne parvient qu’à être un film sans couleur, sans odeur, si ce n’est celle de la sexualité de l’héroïne, son arme fatale. Certes, le décor reprend honnêtement les symboles du genre : grand manoir froid isolé, bord de mer et ciels tourmentés, éclairage tamisé, forêt à proximité, personnages secondaires inquiétants ou violents. Mais le manque de proposition de mise en scène, lié à l’aspect totalement attendu de l’intrigue, achève de gâcher le tableau. La réalisation de Mocky se limite à de pauvres mouvements de caméra : soit beaucoup trop statique, soit tournant autour des personnages, les suivant sans savoir où aller, puis s’arrêtant avant de zoomer, et abusant des gros plans. Le montage brouillon associé à l’absence totale d’ellipse (un premier plan donne toujours lieu ici à son contrechamp) paralyse lui aussi l’histoire. Pour toute mise en scène, on ne retiendra que les caricatures des corps à corps (la scène du premier baiser est un summum !), des décors plaqués, et même une musique (Vladimir Cosma), mal à propos (un morceau évoquant le cirque, des « tubes » rétro, de l’orgue grave pendant l’enterrement de la mère).
Décidément, depuis quelque temps, Jean-Pierre Mocky est bien loin de sa place de réalisateur indépendant, original, habile à raconter des histoires de personnages à la marge. 13 French Street n’intéresse jamais, et laisse, au fond, une impression de ridicule évité de justesse.