Film pour enfant rime trop souvent avec images de synthèse, univers loufoque ou gros spectacle en 3D. Rien de tel dans À pas de loup, récit naturaliste d’une petite fille qui s’émancipe de ses parents pour vivre une aventure de quelques jours au cœur d’une forêt. Mettant ses pas dans ceux de Cathy (Wynona Ringer), Olivier Ringer filme à hauteur d’enfant ce conte initiatique où la voix-off omniprésente de la fillette guide et éclaire le public. À pas de loup joue tout en subtilité le jeu de l’introspection, pour un voyage géographique miniature dans le grand inconnu qu’on a presque tous oublié : l’enfance.
À l’arrière de la voiture qui conduit invariablement chaque week-end la famille dans la maison de campagne, Cathy s’ennuie. Elle observe son père, scrute le silence profond de sa mère et échafaude pléthore de questions, auxquelles elle invente des réponses. Parmi toutes ses interrogations, une obsède particulièrement la gamine : ses parents l’aiment-ils et s’apercevraient-ils de sa disparition si elle venait à les quitter ? Sur cette question éminemment enfantine, Olivier Ringer bâtit son métrage. Sorte d’enfant perdue volontaire, Cathy prend la poudre d’escampette et entame une parenthèse enchantée en s’immergeant en pleine nature.
Délibérément réaliste dans son ancrage spatio-temporel, À pas de loup délaisse pourtant une narration qui aurait suivi avec objectivité le parcours de Cathy pour s’arrimer à ses pensées et ses affects. Son innocence, sa naïveté, sa débrouillardise servent de fil conducteur au film qui navigue au rythme de ses sensations. La caméra se meut à sa hauteur (de nombreuses contreplongées viennent souligner ce parti pris) et reconstruit ainsi l’univers familier de la jeune héroïne. Tout paraît trop grand dans cette maison de vacances, comme inadapté. Les parents figurent des ombres, des silhouettes, qui, si elles sont dans le giron de Cathy, n’en paraissent pas moins absentes. Le choix de ne quasiment jamais les filmer frontalement, la volonté de les laisser dans le flou, permet au film de se focaliser non sur la réalité mais sur sa perception par Cathy.
De l’amitié qu’elle noue avec un poisson ou un gros chien à sa passion pour ses graines magiques, la petite fille recrée un univers à sa dimension, calibré à sa capacité d’imagination. Et si la réalité tente des incursions sous les traits des policiers diligentés par ses parents pour la retrouver, elle est tenue à distance par les fantasmagories de l’enfant. Souhaitant prolonger cette intrusion dans l’âme du personnage, le réalisateur a fait un choix sonore risqué, celui d’une voix off constante. Branché en prise directe sur tout ce qui lui passe par l’esprit, le spectateur ne peut que se soumettre à sa façon d’appréhender le monde, la seule présente dans le film. Quant à Wynona Ringer (Cathy), elle est bluffante de désinvolture. Évoluant en toute liberté, elle volette de scène en scène, imprimant À pas de loup une légèreté en dépit d’un sous-texte social acerbe. Car, la belle demeure et la grosse voiture ne pèsent rien aux yeux de Cathy. Ce rappel du matérialisme des adultes marque la délimitation entre eux et leur progéniture, le fossé qui sépare ces deux âges de la vie. Imaginant le confort comme l’alpha et l’oméga de leur parentalité, ils s’exonèrent d’ « être » au profit d’un « avoir » sans signification pour un enfant.
À pas de loup avance ainsi masqué. Derrière le film pour enfant, onirique et féérique se cache une critique de notre société. Peut-être les spectateurs adultes entreverront-ils des bribes de ce qu’ils furent, des valeurs qui les animaient enfant et de la candeur qui les portaient alors. Candeur qui vraisemblablement n’a pas quitté Olivier Ringer.