Vania est un enfant de six ans au milieu d’autres enfants de tous âges, abandonnés à un orphelinat donc à eux-mêmes. Vania va être adopté par des Italiens. Mais, malgré cette chance que tous les petits camarades envient, Vania veut rester, retrouver sa mère et vivre chez lui. Comme dans la plupart des productions des pays d’ex-URSS, l’obscurité, qui ne tire que rarement sur la ficelle du glauque, est partout présente, à l’image, l’audition, au ressenti. L’Italien est un petit film tout à fait réussi et tout à fait représentatif du cinéma qui se crée dans une société sans véritable État de droit.
Les orphelinats russes ne semblent pas être le meilleur endroit sur Terre pour s’épanouir : on ne verra d’ailleurs de l’hospice que sa chambre, encombrée d’enfants sans parents et sans véritable avenir, le bureau de sa directrice toute puissante, et ses couloirs, toujours en cours réfection. Le cinéma de l’Est est obsédé par sa quête d’identité : qu’est-ce qu’un pays après tant de ravages ? Comment se reconstruire après un traumatisme, politique, social ou militaire ? Sarajevo, mon amour traitait déjà l’année dernière de la renaissance d’une femme au gré de ses souvenirs de violence.
L’Italien, c’est ce petit bout d’homme, Vania, véritable métaphore d’un pays en friche : on vient le chercher, on le montre, on le vend, comme du bétail. Les barreaux de sa prison sont des vitres sales et givrées, la caméra ne les filme que rarement en dehors d’un cadre délimité, rarement en pleine liberté. Ces Européens venus pour lui apporter une vie occidentale, une vie affective réelle, ne sont pas conscients de la situation : sans les montrer comme des nantis arrivant en conquérants, le réalisateur Andrei Kravtchouk les exclut du même cadre qui encercle les enfants. Les étrangers ne peuvent pas comprendre qu’aucune relation parent/enfant n’existe, que l’idée de transmission n’a plus court dans un État où les orphelinats servent essentiellement à enrichir les potentats communaux.
C’est une bien morne plaine que la Russie dans un tel film : les paysages sont neigeux mais jamais sublimés. Le blanc se transforme toujours en boue, et les sourires ne sont pas plus ensoleillés que les lumières des néons qui constituent le seul éclat, bien terne. Cependant, le film ne se laisse pas aller à trop de misérabilisme en se contentant de dresser le portrait démonstratif d’un pays en ruines morales : il suit les pérégrinations de son héros, Vania, plus décidé que les autres à se retrouver et à se construire.
Il s’enfuit donc de l’orphelinat pour retrouver une mère qui l’a abandonné à sa naissance, probablement par obligation financière : sans haine mais avec une volonté de fer, Vania se cache dans un train, fouille dans les papiers de l’administration, et se bat avec et contre la violence des directeurs de l’orphelinat et plus simplement de la rue, jusqu’au dénouement teinté d’un optimisme surprenant. Les enfants restent des enfants mais ont des préoccupations d’adultes, ou sans doute d’êtres humains : connaître son origine et pouvoir évoluer avec. Kravtchouk place ces enfants au centre de l’image sans pour autant les traquer ou faire d’eux des témoins ambulants et un peu vains.
Petite histoire qui reflète une situation de crise beaucoup plus profonde, L’Italien est réalisé par un documentariste. C’est pourtant une fiction qui assume parfaitement son statut de représentant de la réalité sociale : peu de films russes nous parviennent, mais il est l’un d’entre eux qui pourrait permettre aux pays européens de voir la Russie comme elle est, un État dont l’effondrement du système économique a laissé la majorité des habitants sur le carreau. Autant de films russes, roumains, serbes ou hongrois sont des témoignages et des appels au réalisme à l’heure où certains états ne maîtrisent plus leurs autorités locales, à l’heure où Poutine reçoit des mains de notre président la Légion d’honneur.