On se souvient de La Chambre du fils, de Nanni Moretti, Palme d’Or à Cannes en 2001. À son tour, Antonello Grimaldi aborde, avec Caos Calmo, la question du deuil et de la famille, en adaptant le best-seller italien de Sandro Veronesi, Chaos calme (prix Strega en 2006, l’équivalent du Goncourt). Pour incarner le personnage central, il fait appel au Giovanni de La Chambre du fils, Nanni Moretti, par ailleurs coscénariste du film. Prix du jury au 26ème festival du film méditerranéen à Bastia, Caos Calmo est sans conteste porté par la finesse de jeu de Nanni Moretti, à qui il doit d’être un film divertissant et touchant. Balançant sans cesse entre légèreté de traitement et gravité du propos, le film, sans prétendre mener une profonde réflexion sur le deuil, parvient néanmoins à l’aborder avec finesse, vérité, et… humour.
Pietro (Nanni Moretti) et Carlo (Alessandro Gassman) sont sur un bateau… Non, pas tout à fait. Ils sont sur la plage, ils jouent aux raquettes, il fait beau et chaud. Quand deux femmes en train de se noyer crient au secours. Ils les sauvent. Tout est bien qui finit bien. Non, pas tout à fait non plus : car quand Pietro rentre chez lui, il découvre sa petite fille Claudia en pleurs, et sa femme allongée sur l’herbe du jardin, morte. La vie reprend son cours, pour un Pietro étrangement calme. Tout rentre dans l’ordre… sauf qu’un matin, alors qu’il embrasse sa fille sur le pas de l’école, il lui fait une promesse : il l’attendra là, sur le banc, jusqu’au soir. Une décision un peu folle, qui devient vite une habitude. La nouvelle vie de Pietro, c’est désormais sur cette place qu’elle se déroule, c’est ici que sa famille, ses amis, ses collègues, devront venir le trouver.
Le scénario est réduit au minimum. L’action se situe presque entièrement sur cette place sans intérêt. Les enfants arrivent en masse le matin ; peu après une maman amène son enfant trisomique ; plus tard, une jeune fille promène son chien. C’est à peu près tout. Sauf que ça recommence le lendemain. Et le surlendemain. Et de nouveau le jour suivant. Voilà de quoi vous donner envie de voir le film ? Eh bien, non, on ne s’ennuie pas devant Caos Calmo. Le travail de simplification effectué par les scénaristes à partir du livre de Veronesi était risqué : s’il en est sorti une fable divertissante, émouvante et amusante, légère et grave à la fois, c’est presque entièrement grâce à la très fine interprétation de Nanni Moretti. Non pas que le reste du casting soit mauvais : la force du film réside d’ailleurs essentiellement dans le choix très judicieux de chacun des acteurs. Autour de la figure omniprésente de Pietro Paladini gravitent une dizaine de personnages, qui viennent le voir sur sa placette, pour le réconforter ou tenter de le comprendre : bien souvent, ils viennent surtout cracher leurs rancœurs et mettre en scène sur cette arène leurs névroses. Dessinés en quelques traits, ces personnages ne sont pas pour autant désincarnés et ils animent autour de Pietro une sorte de théâtre réjouissant, dans lequel on sourit de retrouver Hippolyte Girardot, Denis Podalydès et Charles Berling baragouinant en italien. Un bémol, néanmoins, pour la scène avec Roman Polanski : la mise en scène se fait ici démonstrative (attention, voici LA scène) et les deux acteurs ne parviennent pas à accorder leur jeu.
Pourtant cette agitation sur la placette pourrait bien vite se réduire à une suite de one-man shows ineptes et superficiels, s’ils ne s’organisaient pas autour de la figure centrale de Pietro Paladini, qui absorbe ces manifestations égocentrico-altruistes (si, si ! Et puis un film portant ce titre ne saurait récuser l’oxymore…), et transforme, par son calme stoïque, ces prestations exubérantes en duos intéressants. C’est la subtilité du jeu de Nanni Moretti qui permet de donner à toutes ces rencontres une profondeur que la simplification de ces figures menaçait. Étrangement calme, Pietro Paladini est un volcan qui gronde. Son apparente impassibilité est démentie par des tics maniaco-dépressifs (ces listes qu’il ne cesse de dresser − les compagnies aériennes avec lesquelles il a voyagé, les endroits où il a habité etc.). Et que dire de cette décision aberrante d’attendre sagement sa fille, assis sur un banc devant l’école, sinon qu’elle témoigne d’un certain malaise… Mais le jeu de Nanni Moretti confère de la légèreté à ce qui aurait pu être pesant ou ennuyeux, il revêt d’un vernis comique le gouffre que son personnage tente de masquer, de se cacher à lui-même. C’est assurément grâce à lui que le film évite la vacuité ou le schématisme qui menaçait dans le scénario, et qu’il instaure un équilibre toujours précaire mais maintenu entre la légèreté de la forme et la gravité du propos.
Le deuil est nié par le père autant que par la fille. Étrange petite fille, interprétée avec beaucoup de subtilité et de vérité par Blu Di Martino. Bien plus forte et raisonnable que son père, elle n’est à aucun moment du film ébranlée par la mort de sa mère, qu’elle a vue de ses yeux. Pietro finit par s’effondrer, et trouve une forme de régénération, de renaissance, dans une scène qui choqua bien des esprits en Italie (surtout l’Église) : une scène de pur amour physique avec cette femme (Isabella Ferrari) qu’il a sauvée de la noyade (oui, on est en plein dans le symbolisme, et alors ?), d’affrontement presque, que rien n’a préparé, et qui restera sans lendemain. Mais est-il besoin de toujours justifier pour rendre vraisemblable ? Est-il besoin de faire vraisemblable ? Et la petite fille doit-elle aussi s’effondrer pour que son personnage soit plus crédible ? ou plus moral ? La force du film est justement dans sa capacité à assumer un parti pris de simplification qui fait affleurer la stylisation de la fable sans renoncer pour autant à une vraie profondeur. On se serait bien passé par moments d’une musique démonstrative contre-productive, et l’on ne dira pas que Caos Calmo est LA référence des films sur le deuil, mais il faut reconnaître à Nanni Moretti et à la jeune Blu Di Martino qu’ils portent le film à un niveau d’émotion et de vérité loin d’être méprisables.