En 2006, une centaine de musiciens et chanteurs israéliens et palestiniens étaient réunis en France pour une série de concerts œcuméniques. C’est la préparation puis le déroulement de cette tournée que capte Xavier de Lauzanne dans un documentaire qui choisit de ne pas en cacher les ambiguïtés et les ratés. Car si la musique parvient parfois à adoucir les mœurs, elle ne suffit pas à couvrir le fracas des injustices et des passions religieuses, nationales et politiques.
En 1994, le producteur français Jean-Yves Labat de Rossi rassemblait les membres bosniaques, serbes et croates de la chorale de Sarajevo, et les faisait se produire dans la cathédrale d’une ville alors en état de siège. Pour qu’ils puissent venir chanter en France, il arrangea ensuite leur évasion rocambolesque de la capitale bosniaque. Dix ans plus tard, il tente de renouveler cet exploit avec les frères ennemis du Proche-Orient, le temps de la sortie d’un CD et d’une série de concerts organisés à Jérusalem puis, en mai 2006, dans quatorze villes françaises. Le documentaire de Xavier de Lauzanne retrace ce projet au long cours et s’attarde sur la tournée française. On pouvait craindre une ode pleine de bonnes sentiments à l’Art qui rapproche les peuples et permet, sinon de résoudre les conflits, au moins de réconforter les âmes de bonne volonté, mais fort heureusement, la caméra est amenée à filmer l’envers de ce discours lénifiant, révélant les contradictions entre l’objectif déclaré de la tournée (délivrer un message de paix et d’amour) et la réalité de son déroulement, chaotique et conflictuel.
Pour prouver que les Israéliens et les Palestiniens peuvent, au moins le temps de quelques chansons, « faire la paix » et cohabiter en harmonie, les organisateurs cherchent par tous les moyens à rejeter la politique hors champ. Dans une certaine mesure, ils sont aidés en cela par les artistes eux-mêmes qui, devant les caméras et les micros des journalistes, se réfugient derrière des déclarations consensuelles sur la musique qui transcende les différences et les incompréhensions. Mais le Palestinien qui profitera d’une conférence de presse pour parler de la situation intenable de son peuple provoquera l’indignation des Israéliens (« On est venus pour la culture ! ») et la colère du producteur (« Tu gâches mon travail avec ta politique de merde ! »).
Car il est difficile d’étouffer très longtemps les revendications et les rancœurs. Les susceptibilités ressurgissent à la moindre occasion : quand une Palestinienne fait le « V » de la victoire devant un public français enthousiaste, quand une conversation dans un bus s’envenime jusqu’à ce qu’un musicien s’interpose et lance une plaisanterie pour calmer le jeu (« Ne vous parlez pas sans passer par l’ONU »). La caméra de Xavier de Lauzanne a su se faire suffisamment discrète pour capter ces moments de tension et d’exaspération, et le réalisateur a eu l’intelligence de ne pas les rejeter au montage au profit des extraits de concerts ou d’autres scènes plus édifiantes. S’il ne s’aventure pas lui-même sur les sujets polémiques, son film n’est pas pour autant une œuvre de propagande au service d’un projet ambigu, au carrefour du coup marketing et de l’excès d’idéalisme, qui impose à des opprimés de taire leur oppression pour ne pas gâcher l’ambiance.
Vers la fin du film, alors que la tournée s’achève, une jeune Palestienne explique : « J’ai appris à les connaître, à les aimer, nous sommes pareils. » Mais elle ajoute aussitôt : « Je ne crois pas qu’il y aura un jour la paix. » Pourquoi ? « Parce qu’en face ils n’y croient pas non plus. » D’une seule voix, le documentaire, contredit ainsi amèrement le message d’espoir qu’entendait délivrer « D’une seule voix », la tournée. Certes, elle aura certainement constitué une belle aventure pour ses participants, et l’occasion de découvertes musicales pour ses auditeurs israéliens ou français. Mais elle n’aura pas empêché qu’un des artistes palestiniens soit tué pendant les derniers bombardements israéliens sur la bande de Gaza. La musique et les bons sentiments, décidément, ne résolvent pas tout.