Si le récent Un jour de Lone Scherfig avait su être plus qu’un mélodrame corseté et complaisant dans ses effets, son principe narratif aurait pu le rapprocher de Dix hivers à Venise, de Valerio Mielo. Soit une autre variante un brin expérimentale des valses-hésitations amoureuses de Quand Harry rencontre Sally, où la légère sophistication du récit a le bon goût de porter le film au-delà des attentes pré-écrites.
Dans Un jour, Jim Sturgess et Anne Hathaway se retrouvent régulièrement à une date anniversaire. Le film de Valerio Mieli est plus malin. Ses tourtereaux à lui, Silvestro (Michele Riondino) et Camila (Isabella Ragonese) se croisent pour la première fois sur un vaporetto vénitien, un hiver, puis se recroisent par hasard au cours des neuf hivers suivants (oui, le hasard a ses limites dans un scénario, et c’est parfois un peu trop évident), entre une cité des Doges et une Russie départies toutes deux de leur imagerie touristique, avant de se mettre enfin ensemble. Et un hiver durant trois mois, cela laisse une marge aux scénaristes pour agencer les dates de rencontres en une suite irrégulière, un peu plus proche de l’aléatoire. Mais il est vrai que les enjeux ne sont pas tout à fait les mêmes. Les rencontres du film américain, à date fixée par avance, sont des échéances annoncées de bilans pour l’un, pour l’autre, pour eux : le spectateur découvre leur nouvel état, compare avec l’ancien, comble l’ellipse annuelle par la déduction et un peu d’imagination, anticipe la suite des trajectoires avant que l’objectif soit atteint. Dans le film italien, attribuer les rencontres au hasard — et les mettre en scène comme telles — dilue d’entrée de jeu les attentes dans l’incertitude, un réel suspense de la redécouverte des personnages, l’anticipation d’une ellipse franche dont certains détails ne pourront qu’être imaginés, suggérer que le film pourrait réserver autre chose qu’un happy-end.
De 2 à 1 + 1
C’est que Valerio Mieli n’est pas seulement malin : il s’intéresse assez sérieusement à ses personnages pour ne pas les laisser au seul état de marionnettes d’une comédie romantique à concept. C’est pourquoi il s’attache à jouer le jeu de son petit dispositif jusque assez loin, principalement par l’écriture, creusant l’idée des rencontres de hasard, de la découverte renouvelée, surtout les vies menées par chacun dans les ellipses, en solitaire, et dont on ne recueille à chaque rencontre que les bribes et le résultat à l’instant T. Il se produit dès lors un effet perturbant à point nommé l’attente classique de la comédie romantique « coucheront, coucheront pas » : l’attente secondaire, celle de découvrir les personnages sous un jour nouveau, monte au premier plan. D’hiver en hiver, d’allers en retours entre Venise et la Russie, de scènes où on croit bien qu’ils vont craquer en rencontres carrément avortées, Silvestro et Camila accumulent chacun hors champ un bagage personnel, laissant découvrir à chaque apparition (et non forcément à chaque rencontre, c’est-à-dire que ce qu’on découvre n’est plus soumis à la présence de l’autre) les directions parfois surprenantes, jamais toute tracées (ainsi, la douleur parfois s’estompe, parfois non), que leurs vies ont prises, laissant le champ libre à l’imagination pour reconstruire les parcours intimes. Ainsi, à partir de personnages écrits pour se réunir à la fin, le film arrive à mettre en évidence des personnages existant par eux-mêmes et ouverts à tous les possibles : plus seulement l’histoire d’un désir attendant d’être assouvi, mais celle des deux vies qu’il implique. Et il faut bien dire que dans la comédie romantique actuelle, des regards comme celui-là sur les personnages nous manquent.