En 1994, Michel Leviant réalise Le Mur aux fées, resté inédit, avec Hélène Lapiower, Marie Vinoy et Iliana Lolic, une chronique ensoleillée d’un été entre filles. Douze ans plus tard, le réalisateur reprend ses bobines pour y ajouter celle de En souvenir de nous, après la mort du personnage incarné par Hélène Lapiower. Intime et parfois poignant, le film se focalise sur cet hommage avec une simplicité parfois gênante.
Il y a douze ans, Marielle et sa sœur Colombe venaient dans la maison de Jeanne passer un été inoubliable, qui allait changer leurs vies. Aujourd’hui, après le suicide de Jeanne, les deux sœurs reviennent sur les lieux, et tentent de faire face aux raisons qui ont conduit leur amie à cette extrémité, raisons auxquelles elles ne sont pas étrangères.
À l’origine de la nouvelle sortie de Le Mur aux fées / En souvenir de nous, il y a la redécouverte du premier film par le producteur Henri Magalon, qui voyait dans ce film inédit « un film fragile, [à] la grâce d’une esquisse inachevée ». Et de vouloir mettre un point final à l’histoire de Marielle, Colombe, et Jeanne, avec un film hommage à l’interprète de cette dernière, Hélène Lapiower, décédée du cancer en 2002. Avec ses actrices, le réalisateur est donc revenu dans les décors qu’il avait utilisés des années auparavant. Mais là où Le Mur… était un film ensoleillé aux teintes arc-en-ciel, les nouvelles séquences d’En souvenir de nous baignent dans une noirceur oppressante.
Car Jeanne s’est suicidée. Et quand bien même son interprète avait, elle, succombé à la maladie, le film, et le regard qu’il jette sur son propre passé, fait figure d’évocation apologétique. Indéniablement, Hélène Lapiower est Jeanne, et les artifices narratifs employés par Léviant pour expliquer le geste de son personnage rajoutent à la tragédie, bien réelle, vécue par l’actrice défunte. Étonnamment, alors qu’il parvient avec succès à mêler réalité et fiction de ce point de vue, En souvenir de nous manque singulièrement d’homogénéité dans sa narration. Les deux temporalités sont à ce point dissemblables que les rajouts rattachés au Mur… apparaissent réellement comme tels, maladroitement montés pour créer une cohésion illusoire dans le récit.
En souvenir de nous choisit finalement de ne pas pousser son propos narratif : alors que Jeanne a été poussée au suicide, notamment, par le sentiment d’abandon qu’elle a ressenti suite aux départs et aux « trahisons » de ses amies d’un été, celles-ci ne se remettront jamais réellement en question, préférant donner dans l’expression pure du deuil. Michel Léviant semble avoir eu peur d’utiliser son matériau narratif, de lui donner une dimension réellement romanesque ; il lui a préféré une émouvante réalisation en champs/contrechamps temporels qui, finalement, atteint son but probable : redonner une fois encore vie au talent, indéniable et éclatant, de feu Hélène Lapiower.
C’est oublier que le cinéma est toujours un art qui se souvient, et qu’il n’est pas besoin de forcer le trait pour que ses étoiles passent à la postérité. Finalement, l’élégie à la mémoire du talent d’Hélène Lapiower est consommée ; son but, atteint : on est par moment pris à la gorge par l’intensité de l’interprétation de l’artiste disparue, et c’est tout l’hommage que peut espérer une actrice. Mais lui dédier un film aux enjeux véritablement assumés eût été, peut-être, un plus bel hommage encore.