Une dizaine d’années après J’aimerais pas crever un dimanche et Des nouvelles du Bon Dieu, Didier Le Pêcheur délaisse la réalisation télévisuelle pour revenir au grand écran avec Home Sweet Home, à première vue un mystère à la Maupassant. Entre intrigue policière et gags un rien élitistes, le ton de Home Sweet Home semble délaisser les chemins iconoclastes dont est coutumier le réalisateur. Rester sur cette première impression serait une erreur, cependant, et priverait le spectateur curieux d’un film qui continue avec constance la singulière filmographie de Didier Le Pêcheur.
Claire est une jeune fille dont on devine la vie compliquée : journaliste peu impliquée dans sa vie personnelle, elle rentre un matin chez elle pour y trouver au lit son homme du moment et sa meilleure amie dans les bras l’un de l’autre, et assumant pleinement leur geste. Passablement contrariée, elle décide de rentrer dans la maison de son enfance, dans le très provincial village de Sancoins. Là-bas, elle retrouve son père et son meilleur ami, habitant toujours ensemble après l’avoir élevée à deux après la mort de sa mère, en partance pour l’enterrement du photographe du village. La mort mystérieuse de celui-ci et l’arrivée d’un flic de Paris vont bouleverser la vie de chacun des protagonistes.
Judith Godrèche, Daniel Prévost, Patrick Chesnais et Alexandre Kaamelott Astier au générique d’une comédie policière : les ingrédients principaux d’un ratage annoncé, film sans personnalité servant la soupe à ses grosses têtes d’affiche, sont présents à l’affiche de Home Sweet Home. Mais ce serait oublier le tempérament étrange de Didier Le Pêcheur, réalisateur avec Des nouvelles du Bon Dieu d’une des plus originales comédies du corpus tricolore. Le réalisateur réussissait à y plier Maria de Medeiros, Marie Trintignant, Christian Charmettant et Jean Yanne au service d’un scénario existentialiste étonnant et à l’humour absurde et dévastateur. Grande déception que celle qui saisit l’amateur de ce film au vu des premières séquences de Home Sweet Home, qui s’annonce comme une sorte de vaudeville policier fauché. Mais très doucement, entre séquences burlesques attendues à la limite du beauf (ce que c’est drôle, tout de même, les provinciaux) et morceaux d’anthologie slapsticks et/ou absurdes, le ton du film change. Subtilement, l’obsession se centre autour du personnage suffisant et hautain de Claire (Judith Godrèche).
Toujours physiquement parfaite, le personnage contraste avec le reste des protagonistes – protagonistes laids, ridicules, ridés et fatigués, qui se révèlent n’exister qu’en rapport à la jeune femme, mystérieuse icône d’un ailleurs fantasmé. « La télé » où elle est allée travailler ; la grande ville qu’elle a rejoint en partant de sa province, tandis que ses amies d’enfance sont restées et se glorifient d’avoir conquis le fils du pharmacien local ; cette grande ville également vaguement symbolisée par un Maigret au rabais (Astier); l’homme physiquement parfait que Claire a crânement abandonné (« Edwin ») pour daigner revenir dans son petit village… Tout un imaginaire environne la jeune femme, qui balade une indifférence narquoise dans les rues de Sancoins, comme si elle avait déjà découvert les petits secrets de ces petites gens. Et puis, semble t‑elle dire, peu importe, finalement, que la vérité soit connue, voire que la vérité soit simplement vraie — elle baigne avec un plaisir manifeste dans la supériorité que son nihilisme lui confère sur les simples mortels qui l’entourent.
Au fil d’un récit lent et à première vue plutôt prévisible, Didier Le Pêcheur boucle la révolution de son scénario : on devine que comme sa mère morte mais tellement présente, Claire règne sur une cour d’hommes désemparés qui se disputent l’honneur d’être qui l’amant, qui le père de cette femme, tandis que les autres filles qui l’environnent ne peuvent jamais se comparer à elle. D’un récit commencé de façon très académique dans son traitement du burlesque et du mystérieux, Didier Le Pêcheur tire finalement une parabole étrange et singulière autour d’une figure féminine centrale – son Atlantide à lui. Certainement, Home Sweet Home n’est pas exempt de défaut, mais sa volonté pugnace de raconter autrement un récit qui refuse le moindre sensationnalisme tranche avec un cinéma clinquant bling-bling de plus en plus répandu. Didier Le Pêcheur signe donc le retour de son style si singulier au grand écran avec un film à part, mais qui correspond bien à son univers. Un univers auquel on adhère ou non, mais qui a le mérite de refuser une évidente facilité.