Montrer la Seconde Guerre mondiale à hauteur d’enfant, bien des réalisateurs s’y sont essayés, en encadrant souvent le sujet de détours poétiques ou comiques : René Clément avec Jeux interdits, Jacques Doillon avec Un sac de billes, Roberto Benigni avec La vie est belle… Dans L’Homme qui viendra, le regard d’une fillette doit permettre d’observer à distance un fait isolé mais troublant dans l’étendue des horreurs de cette période : les massacres de Marzabotto en 1943. Sur le mode de la chronique, Giorgio Diritti réalise un film sage, où la volonté d’une approche naturaliste finit par affaiblir la densité du propos.
Dans la zone montagneuse de Monte Sole, près de Bologne, la jeune Martina vit dans une grande famille : grands-parents, parents, grands oncles, grandes sœurs partagent une quotidien joyeux mais laborieux. Martina attend impatiemment la naissance d’un petit frère. Cette future naissance à la connotation messianique (celle de « l’homme qui viendra ») est vécue avec une intensité particulière par la fillette, qui a cessé de parler depuis la mort à la naissance d’un autre petit frère. De cet événement traumatique, nous n’entendrons parler que très évasivement, mais une attention particulière est prodiguée à la femme à nouveau enceinte, dont le corps est malmené par le travail agricole. Nous sommes à l’hiver 1943 et Martina vagabonde d’un hameau à l’autre, dans les champs et la forêt, témoin de conversations et de situations dont elle ne comprend pas la logique. Son grand regard triste observe les règlements de compte entre Nazis et résistants, le passage d’armes et de munitions, les amours interdits de ses sœurs avec les maquisards, la passion de ses parents l’un pour l’autre. Dans son silence, l’enfant est partout, douce et sauvage, sage et curieuse. La tension entre résistants, villageois et soldats nazis passionne ainsi la jeune Martina, dont l’innocence devrait servir de révélateur pour dire l’absurdité d’une violence arbitraire, dans ces montagnes où les enjeux géopolitique d’une guerre mondiale semblent bien lointains.
Passionné par son sujet et très documenté, Giorgio Diritti cherche à prouver son intégrité face à un sujet sensible par le développement d’un style très naturaliste et la mise à distance de tout affect. Les personnages n’agissent que sous le mode de l’immédiateté et du pragmatisme, sans exprimer aucun sentiment, et la caméra suit les déplacements de Martina pour construire le portrait d’une famille paysanne tout autant que pour capter les signes d’une occupation nazie de plus en plus oppressante. La rigueur du dispositif témoigne d’une volonté de construire un regard réfléchi et précis sur une réalité historique jusqu’à présent absente des représentations cinématographiques (comme bien d’autres pages sombres de l’histoire italienne). Cette démarche est renforcée par le choix de dialogues énoncés dans un dialecte provincial, l’emiliàn-rumagnòl, parlé dans l’Émilie-Romagne des années 1940 mais aujourd’hui disparu (ou presque). Diritti vient donc activer une mémoire à la fois sociale et linguistique, non seulement pour respecter l’intégrité supposée des faits, mais aussi pour s’emparer du cinéma comme d’un outil de lutte contre l’oubli. Mais, prisonnier du silence de son héroïne, le cinéaste choisit le subterfuge d’un passage en voix over pour permettre à Martina de nous livrer ses pensées sur l’étrangeté des comportements adultes, dont elle ne peut expliquer la violence croissante et la répartition en clans ennemis. L’enfant s’exprime en italien quand tous parlent en dialecte, au risque de mettre à mal la cohérence de la reconstitution.
Les frères Taviani s’étaient intéressés aux massacres de villageois perpétrés en 1944 en Toscane dans un film très juste : La Nuit de San Lorenzo (1982). Trente ans plus tard, Giorgio Diritti revient sur un sujet similaire en reconstituant les massacres de Marzabotto, survenus près de Bologne à l’hiver 1943. S’il assimile cette référence, il ne parvient pas à l’égaler. En effet, L’Homme qui viendra pâtit de la rigidité de bonnes intentions sincères. La caméra, à hauteur d’enfant, place à distance de l’action un spectateur qui finit par ne plus être impliqué du tout par une succession de saynètes anecdotiques. Construit sur le mode de la chronique, le film tire en longueur pour provoquer un sursaut brutal dans sa dernière demi-heure. Lorsque le massacre massif commence et contamine tous les bourgs environnants, rien ne subsiste dans une succession de courtes scènes ne semblant former qu’une seule : femmes, enfants et hommes de tous âges sont abattus avec férocité par des hommes bestiaux sans respect pour les lieux sacrés.
Diritti veut nous bousculer, mais n’assume pas complètement le choc qu’il veut imposer. Sa jeune et naïve héroïne survit miraculeusement à l’horreur, grâce à la force de son amour pour son frère nouveau-né. Ainsi le film se charge d’un lyrisme maladroit pour finir sur une belle image en contre-jour et enrober soudain un récit froid d’un sentimentalisme déplacé.