Philippe Diaz, producteur dans les années 1980 de Leos Carax et de Gérard Blain, s’est reconverti au tournant des années 2000 dans le documentaire altermondialiste. La plupart de ses films sont inédits en France, à part Nouvel Ordre Mondial (quelque part en Afrique) qui, projeté en 2000 à Cannes, suscita une (petite) polémique à cause de ses prises de position contestables sur le conflit qui ensanglantait alors la Sierra Leone. La Fin de la pauvreté ? a également été projeté à Cannes, dans le cadre de la Semaine de la critique 2008, mais cette fois-ci dans une relative indifférence. Il faut dire que depuis quelques années, les documentaires engagés prolifèrent comme des champignons par temps humide. Et qu’ils ne sont, hélas, pas toujours comestibles.
Tourné avant la tourmente financière qui a failli emporter le système capitaliste (qui en sort finalement renforcé grâce à l’aide généreuse du contribuable), La Fin de la pauvreté ? pose quelques questions pertinentes, par-delà leur apparente naïveté : pourquoi, alors que le monde n’a jamais été aussi riche et développé qu’aujourd’hui, y a‑t-il toujours autant de pauvreté ? pourquoi meurt-on toujours de faim au XXIème siècle ? Hélas, c’est à l’aide de moyens cinématographiquement très paresseux que le film tente d’apporter ses réponses. Il repose sur les cinq piliers branlants du cinéma de l’indignation impuissante : 1/ des interviews d’experts sympathiques s’exprimant depuis leurs fauteuils (Serge Latouche, Amartya Sen, Joseph Stiglitz…) ; 2/ des plans sur des pauvres qui nous confirment face caméra, l’air contrit, qu’ils sont pauvres ; 3/ des chiffres implacables qui s’inscrivent régulièrement en blanc sur fond noir ; 4/ une musique world gentiment dépaysante ; 5/ un commentaire off énoncé d’une voix grave et concernée par une star ventriloque (Martin Sheen dans la VO, Charles Berling pour la VF).
Le discours est à l’avenant de cette pauvreté formelle. Philippe Diaz entend retracer l’histoire du capitalisme et ses évolutions récentes pour en montrer toute la nocivité. Le cours magistral se veut certes pédagogique, mais il n’apprendra pas grand-chose au spectateur qui aura déjà regardé au moins un documentaire ou lu un article sur le sujet – c’est pourtant ce spectateur-là qui, a priori, paiera pour voir le film en salles… Surtout, La Fin de la pauvreté ? fait l’impasse sur tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à une résistance au capitalisme. Ainsi, alors que la caméra traque la misère au Brésil et au Venezuela, il n’est pas une seule fois fait mention de l’essor des mouvements « bolivariens » dans toute l’Amérique Latine, et des espoirs de justice sociale qui ont porté au pouvoir les présidents Luiz Inácio Lula Da Silva et Hugo Chávez. Le documentaire ne s’attarde pas non plus – quand il les évoque seulement – sur les tentatives passées de faire naviguer la société hors des eaux froides du calcul égoïste.
On pourra nous répondre que le film ne dure qu’une heure et quarante-quatre minutes, et qu’en un laps de temps aussi court il est impossible d’épuiser un sujet aussi vaste, d’évoquer par exemple la pauvreté dans les pays du Nord, ou la corruption et l’instrumentalisation des élites politiques du Tiers Monde, etc. Mais l’occultation de l’histoire des luttes est lourde de conséquences : elle naturalise le système capitaliste. On ne combat pas, même en mots ou en images, un système global et diffus qui tire sa puissance de sa prétendue évidence, sans mentionner et tirer les leçons des résistances passées. Le cinéma documentaire actuel donne un peu l’impression de redécouvrir Marx tous les quatre matins. C’est sans doute révélateur de la dépolitisation générale des populations occidentales, ça n’en demeure pas moins attristant.
La Fin de la pauvreté ? se condamne d’autant plus à l’impuissance qu’il ne témoigne ni de la rigueur factuelle d’un William Karel, ni du punch d’un Michael Moore – qui, aussi critiquable que puisse sembler sa démarche, a au moins le mérite de nommer et de filmer les puissants, de chercher à les débusquer, à les confronter à leurs victimes, à les amener à la lumière que la plupart craignent tant. Le choix du titre du film de Philippe Diaz est au fond révélateur : la pauvreté, c’est neutre (on est pauvre parce qu’on est pauvre). Parler d’exploitation, d’asservissement, aurait sans doute permis de sortir du constat déjà lu et entendu mille fois, et d’amener le spectateur à se poser des questions moins misérabilistes et plus directement politiques : qui sont les oppresseurs, les profiteurs – et comment les empêcher de nuire ?