Après Espace détente (Bruno Solo et Yvan Le Bolloc’h, 2005), l’univers de Caméra Café revient sur grand écran. Cette fois-ci, Hervé Dumont, syndicaliste enflammé, et Jean-Claude Convenant, pathétique roi des VRP, quittent la Veule, une région imaginaire de la province française, pour monter à Paris en Xantia tunée, afin de participer à un séminaire de motivation. Quand les clowns découvrent la crise…
On ne peut ignorer le succès télévisuel qu’a constitué le projet Caméra Café : soixante pays diffusent ou exploitent le concept dans le monde, alors qu’en France la série va reprendre avec quinze nouveaux comédiens à la rentrée sur M6. Après Un gars, une fille (première diffusion en 1999), Caméra Café (première diffusion en 2001) a largement participé à la légitimité des programmes courts dans les grilles des chaînes françaises. Ces formules de trois à six minutes hebdomadaires ont constitué un intéressant laboratoire de création et un nouvel espace médiatique pour de jeunes acteurs en quête de visibilité. Mais comment survivre à la petite lucarne ? Si, au cinéma, Jean Dujardin a surfé sur la vague comique avec son personnage de Brice de Nice et la série des OSS 117, il parvient lentement à diversifier sa palette de jeu, pour incarner des personnages plus profonds (Contre-Enquête, Frank Mancuso, 2007). Alexandra Lamy, dont la reconversion post-télévisuelle demeure problématique, tente aujourd’hui de faire oublier la cruche castratrice d’Un gars, une fille dans Ricky (François Ozon, 2009). S’émanciper de personnages caricaturaux, entrés dans l’intimité quotidienne d’un large public des années durant, semble constituer un processus long et hasardeux.
Bruno Solo et Yvan Le Bolloc’h (co-réalisateurs et acteurs de Caméra Café), ne reniant jamais leur emploi comique dans leurs incursions cinématographiques, ont choisi de contourner le problème en transposant leur concept sériel sur grand écran. L’inventivité de Caméra Café reposait sur un dispositif de prise de vue unique : une seule caméra fixe, « œil » de la machine à café, captait les petits travers, les secrets et les magouilles des employés de la société Geugène. En dévoilant le reste du bâtiment, le premier long métrage Espace détente avait peut-être permis d’assouvir la curiosité de certains fans, mais avait brisé la magie d’un choix de filmage théâtral diablement efficace, clé essentielle du pouvoir comique de Caméra Café. Ce premier film conservait la multiplicité des personnages de la série pour ne constituer qu’une suite de sketches, comme un long collage d’épisodes. Pour Le Séminaire, Solo et Le Bolloc’ch se sont octroyés l’aide de trois scénaristes et d’un réalisateur, Charles Némès (Série H pour Canal+, La Tour Montparnasse infernale, 2001). Tout un programme…
L’extraction des personnages de leur environnement naturel et le resserrement de l’intrigue autour de six membres de la société Geugène permet à ce second récit de gagner en clarté et en cohérence. En contrepartie, les six élus pour la formation de « Team Building » semblent endosser chacun une charge comique d’autant plus importante. Leur caractérisation outrancière en devient presque fatigante pour le spectateur (couleurs criardes agressives sur grand écran, voix stridentes…). Le cas de Jean-Claude Convenant est exemplaire de cette loufoquerie galopante. Dans le duo Hervé/Jean-Claude, le second incarne un clown auguste, dont les caractéristiques grotesques sont poussées à l’extrême. Comme la série le montrait déjà, Jean-Claude est incapable d’utiliser le subjonctif (« Il faut que Véro elle revient ! » répète-t-il en boucle), frise l’analphabétisme et ne jure que par Johnny Hallyday (version années 1980). Jean-Claude n’est plus ici qu’une caricature poussive de lui-même (si, si, c’est possible…), d’où une multitude de scènes d’une lourdeur difficilement supportable, où l’on peine juste à sourire. Reconnaissons la créativité des dialoguistes, qui se sont plu à développer un dialecte spécifique à ce personnage. Si Convenant est triste, il déclare être « déploré comme une pierre », ce qui ne veut rien dire en soi, mais s’avère instantanément compréhensible de façon contextuelle ! Lorsque Jean-Claude, volage et pyromane, parvient à reconquérir son ex-femme, il promet de lui « offrir une vie en full HD ».
Les moments agréables du film sont concentrés dans les scènes de séminaire de motivation, où le huis clos de la salle de formation permet de renouer avec l’esprit satirique fondateur de la série. On se moque ouvertement de l’inutilité de jeux abracadabrants, de la vacuité de concepts réducteurs, du conditionnement idéologique d’un discours sociologique à l’emporte-pièce… Et c’est pour permettre la performance et la productivité de leur entreprise que les six pantins clownesques de la société Geugène vont devoir travailler l’écoute et la confiance, face à un coach leur reprochant d’être « lockés dans un bad mind process » (comprenez : « enfermés dans un état d’esprit négatif »). Mais la mascarade ne s’arrête pas là. Le syndicaliste Hervé Dumont découvre que ce séminaire n’est qu’un gigantesque test de personnalité, destiné à les évaluer en vue d’une restructuration générale de la société Geugène, impliquant des licenciements massifs. Les scènes de séminaire, certes facilement fédératrices, permettent de revenir aux fondamentaux de la comédie : duplicité des personnages, faux-semblants, jeux de séduction, renversement des dominants, satire sociale… Mais l’exercice reste assez scolaire. Quant aux scènes annexes développant les trajectoires individuelles des différents protagonistes, elles se focalisent davantage sur Hervé et Jean-Claude, n’offrant qu’une succession de gags éculés et grossiers.
On reconnaîtra l’efficacité du timing de distribution de ce film, qui apparaît sur les écrans en plein marasme économique et social, pour nous offrir une version carnavalesque de la crise, à l’effet thérapeutique temporaire…