C’est un principe littéraire et cinématographique bien connu : plus la route est longue, plus les âmes qui la prennent ensemble se rapprochent… Sur cette trame un peu mince et usée jusqu’à la corde, le réalisateur argentin Pablo Giorgelli signe un premier film très réussi, lauréat de la Caméra d’Or à Cannes en 2011, et dont l’apparente sécheresse cache un cœur fondant.
À l’image de son personnage masculin principal, interprété le peu loquace Germán de Silva, Les Acacias est un film bourru. Avare en paroles, pas très aimable, et concentré sur sa mission. Il serait dommage, pourtant, de s’arrêter à cette façade peu amène : en remportant la convoitée Caméra d’Or en mai dernier au Festival de Cannes, Pablo Giorgelli était très justement récompensé pour une œuvre d’une infinie délicatesse, qui déploie toute sa maestria au fur et à mesure qu’avance une intrigue que l’on connaît par cœur, mais qu’on a l’impression de découvrir ici pour la première fois.
Sur la route
Cette histoire, c’est celle d’un passage : celui que le camionneur Rubén franchit avec ses deux voyageuses qu’il ne connaît pas, Jacinta et sa toute petite fille Anahi. 1500 kilomètres, et pas grand-chose à se dire… Pablo Giorgelli ne s’encombre pas de détails : seule compte cette relation incongrue qui naît dans le mépris. Mais de ce road-movie en mode mineur, le réalisateur tisse une chronique légère comme une plume, celle d’un amour naissant entre un homme qui croyait avoir tout perdu et une femme qui ne se doutait pas, en fuyant de l’autre côté de la frontière pour commencer une nouvelle vie, que celle-ci commencerait dès le début du voyage. Entre eux deux, un trésor : le bébé Anahi, bijou joufflu aux yeux ronds comme des billes et au sourire si irrésistible que même Rubén, d’abord un peu encombré par cette petite chose, se laisse attendrir. En coinçant son trio de fortune dans l’habitacle d’un camion qui semble lancé pour l’éternité, Pablo Giorgelli s’amuse du contraste créé à l’image entre cette proximité forcée et les grands espaces parcourus tout au long du film. L’ironie de la situation ne lui échappe pas : il y a quelque chose de divinement mystérieux dans ce rapprochement incongru entre trois êtres qui semblaient n’attendre que ce moment pour commencer à vivre.
Les Acacias, sous son apparente simplicité, raconte une histoire qui pourrait être celle des origines : on y voit les balbutiements d’un amour, rendu possible par un enfant sans père et par un voyage si long qu’il ne peut qu’aboutir à la transformation profonde de ceux qui l’accomplissent. Le montage du film, réalisé par la compagne du cinéaste, parle le même langage : il révèle le regard bienveillant du cinéaste pour ses personnages, partagés entre la nécessité de fixer la route devant eux et le désir de poser leurs yeux sur le passager d’à côté. Les pauses que s’aménage le récit font paradoxalement monter la tension : c’est toujours lorsqu’ils sortent de leur habitacle que nos héros se voient confronter au passé (une sœur, un enfant), à la tentation, à la jalousie, peut-être à l’abandon. Qu’importe : au bout du chemin, il y a peut-être la possibilité du bonheur. Malin, Pablo Giorgelli boucle son intrigue sur une pirouette riche de promesses, laissant ses personnages heureux d’avoir fait un si beau voyage…