L’art est un démon, un séducteur, toujours prêt à ressurgir à la moindre opportunité, à tout consumer sur son passage. Voilà le propos du premier film de Jean Achache – un propos certes rebattu, mais le réalisateur se pique de relever la recette. Son ingrédient miracle ? Le jazz.
Simon Nardis est un homme rangé, père de famille, et mari aimant. C’est aussi un ex-alcoolique, suicidaire, artiste consumé à la flamme de la vie bohème de pianiste de jazz. Lorsque le hasard le remet au clavier, le projetant par la même occasion dans les bras de la mystérieuse propriétaire du jazz-bar, Simon se trouve tout prêt de basculer.
Jean Achache met en scène, à tous les niveaux, le combat entre la chair et l’idée. D’abord, bien sûr, parce qu’à la fois la mystérieuse tenancière du jazz-bar – Debbie – la musique et l’alcool s’opposent aux vœux de chasteté prononcés par Simon Nardis il y a dix ans de cela. Mais également parce que, quelque écrits qu’ils soient, les personnages d’Un soir au club transcendent leur nature, pour s’imposer comme des réminiscences de figures mythologiques. Nous sommes ici en présence d’un Ulysse, d’une Pénélope et d’une Calypso.
Manifestement enthousiasmé par son matériau originel (le roman éponyme de Christian Gailly, lauréat de Prix du Livre Inter 2002), Jean Achache (également au scénario, en compagnie de Guy Zylberstein) veut y discerner ce trio symbolique, rejouer le drame éternel de l’infidélité de l’homme. Le jazz, omniprésent, aide beaucoup. Musique sensuelle par excellence, ce style n’a pourtant eu que fort peu droit de cité sur les grands écrans. – un oubli que tente de réparer Jean Achache, bien maladroitement hélas. Il va ainsi découper son film en trois époques, avec la soirée au club comme évident point d’orgue et de rupture. Malheureusement, c’est dans cette partie qu’il saura le moins s’écarter du cliché bateau de la boîte de jazz, avec ses musiciens pris en ombre devant une lumière tamisée, ou ô combien de plans tellement attendus sur les mains des dits musiciens, en train de parcourir leur instruments. Achache serait-il pris dans le piège de la passion, possédé par le besoin de retranscrire exactement une ambiance qui lui est chère ? Certainement.
Certainement, mais, par extraordinaire, le réalisateur parvient à s’extraire de la gangue étouffante des références auto-imposées – et cela, grâce à sa Debbie, qui est autant une respiration pour Simon Nardis que pour le réalisateur. Personnage étrange et peu commun, elle se révèle d’une sensualité époustouflante. Que cherche-t-elle dans Simon Nardis, fantôme sorti de son passé à elle – dont on ne saura rien, sorte d’incarnation fatiguée d’un idéal de jeunesse ? Elle ne le révèlera pas. Ce qui la place au-delà du commun, c’est avant tout sa décision pesée et mature de courtiser cet homme, qui ne cesse de lui jeter au visage son mariage, et tout ce qu’il doit à sa femme. C’est ce positionnement moral, peu commun dans le traitement cinématographique du ménage à trois, qui fait une partie de sa force. Mais le personnage doit avant tout beaucoup à l’interprétation magnétique d’Élise Caron, qui, loin des poses putassières d’une Megan Fox, exsude un érotisme troublant, mature. Ici, Jean Achache délaisse les clichés de la mise en scène caricaturale de l’univers du jazz, pour « mettre en scène jazz » : un jeu subtil sur les lumières, sur les creux du visage et du corps de son actrice, une sensualité étourdissante.
Alors se dévoile le récit, se révèle la complexité de la personnalité de Debbie, la faiblesse de celle de Simon. Avec une tranquillité troublante, Jean Achache dépeint l’adultère sans honte, sans jugement, cherchant avant tout à comprendre ses personnages, étouffés dans leurs propres peurs, moralités et lassitudes. À cet égard, on peut regretter que la conclusion du récit enlève toute liberté de choix à Simon, cet homme tellement faible qu’il ne prendra de décision que lorsque celle-ci sera rien moins qu’inéluctable. Reste que l’épilogue de Debbie, toujours aussi énigmatique et envoûtante, nous laisse sur l’impression d’avoir vu un portrait de femme peu commun, beau, sensuel et réfléchi.