Premier long-métrage tourné et produit au Congo depuis des lustres, Viva Riva ! est une détonation déroutante dans le paysage du cinéma africain. Ou comment se saisir de la réalité sociale et économique d’un pays ravagé par des années de guerre, pour la transformer en un polar survolté qui adapte les codes du genre à la société congolaise.
Viva Riva ! prend ses quartiers dans la ville de Kinshasa, cité gangrenée par la corruption et la violence, et nous offre une plongée sans concessions dans les arcanes d’une société à l’équilibre précaire, où insolente richesse et extrême pauvreté cohabitent sous couvert d’une tension constante. C’est dans cet étourdissant fatras que Riva, jeune truand, débarque après dix ans d’absence, du fric plein les poches, avec la ferme idée de revendre de l’essence volée à son ancien patron angolais, tueur psychopathe sans foi ni loi lancé à sa poursuite. Djo Tunda wa Munga fait de cette intrigue une entrée in medias res dans une cité en pleine pénurie de gasoil, et de Riva, petit roi du pétrole, un homme obsédé par une reconnaissance sociale qui mêle réussite économique et désir d’obtenir le respect des voyous locaux. Riva tente donc de se faire « sa place au soleil » par tous les moyens, quitte à chercher les ennuis, comme en séduisant la maîtresse du parrain du quartier, femme fatale par excellence.
De ce postulat somme toute classique, qui fait appel à la mythologie du film de gangsters, Djo Tunda wa Munga tire un portrait au vitriol des inégalités sociales et d’une fascination pour l’argent, rêverie capitaliste qui envahit peu à peu l’Afrique. Sexe et violence sont décrits comme des composantes primordiales de la société congolaise, et les différentes strates du récit pointent d’autres problèmes plus rarement évoqués au cinéma : la place du racisme entre les différents pays de l’Afrique noire, ainsi que les soucis provoqués par des vagues d’immigration massives. Le récit tire ainsi sa force d’une mise en scène qui privilégie l’immersion dans une réalité à la fois palpable et inconnue, comme ces virées nocturnes qui dressent un saisissant tableau de la haute société mafieuse de Kinshasa.
Mais c’est surtout dans la transposition des codes du film de genre que Viva Riva ! trace un sillon déroutant. Chaque personnage est très clairement typé (une femme fatale aux cheveux teints en rouge, un prêtre véreux, une militaire lesbienne, une mère maquerelle), et renvoie autant à un univers de série B – on pense parfois à Robert Rodriguez – qu’à la réalité sociale dans laquelle il évolue. C’est dans ce grand écart, et ce jeu constant de renvoi, que Viva Riva ! explore une voie plutôt réjouissante et augure un possible devenir du cinéma africain, qui se situerait entre le film de divertissement et la volonté de figurer par ce biais les enjeux sociétaux qui agitent tout un pays.
Il reste pourtant le problème de la représentation de la violence, qui semble ne pas être dépourvu d’une certaine complaisance. Viva Riva !, à l’image de son personnage principal, déploie souterrainement une sorte de fascination pour les figures du banditisme. Le film occasionne également parfois une gêne, et pose de biais – mais maladroitement – la question du regard que nous, Occidentaux, pouvons poser sur cette situation postcoloniale qui nous est en partie imputable, question dont Djo Tunda wa Munga semble finalement peu se soucier. Difficile toutefois d’adresser ce reproche de manière frontale tant il y est, malheureusement, plus question de nous et de notre propre culpabilité que du sort que subissent les gens sur place. Car Viva Riva ! fait de cette violence le sel de son énergie, et affiche sans complexe une inclinaison à ne pas vouloir transiger sur ce terrain, et porter aux yeux de tous la dure réalité telle qu’elle est. Mais il semble que le nœud du problème se trouve dans ce grand écart dont on parlait plus haut, car il s’y joue la comédie inconfortable d’un film qui cherche à s’ouvrir au grand public mondial. Et qui oublie parfois, dans son empressement à s’emparer d’une situation concrète et dramatique, que cette démarche n’est pas dénuée d’une pointe d’opportunisme.